S'enfuir - récit d'un otage

C e sera court. Christophe en est convaincu. Kidnappé une nuit de juillet, ce responsable administratif et financier d’une ONG opérant au Caucase pense que sa détention sera brève. Les jours passent…

Il aura fallu une quinzaine d’années à Guy Delisle pour transcrire l’histoire que cet homme lui a confiée. En terme de narration, la mise en images de cette captivité relève du défi. Une pièce, une ampoule, un matelas, une fenêtre obturée, un radiateur. Et une porte. Fermée. Tel est le décor principal dans lequel est retenu Christophe. Au dessinateur de composer, d’imprimer la répétition des séquences ordinaires qui rythment le quotidien d’un otage en dupliquant les angles de vue pour instiller la monotonie, en prenant soin aussi de les varier – un peu - au besoin pour éviter de lasser définitivement le lecteur.

À aucun moment pourtant, l’idée n’émerge que la construction de ce livre s'est faite au prix d'un laborieux tour de force. L’architecte est doué, mais l’envie d’inspecter les fondations ou les plans ne se fait pas sentir. La préoccupation, c’est ce que vit le captif, quand bien même cela se réduit à peu de choses. Menottes – bol de bouillon – thé – seau en guise de toilette – sommeil. Et gamberge. Des hauts, des bas, l’espoir, la déprime. Pourquoi moi ? Dans quel but ? Pour combien de temps ? Que font-ils dehors pour me tirer de là ? Existe-t-il un moyen de s’enfuir ?

Quatre cent trente-deux pages durant, de la première nuit (remarquable et immédiate immersion dans le récit et l’ambiance du fait du seul choix chromatique) à l’issue de sa captivité, l’œil suit un détenu auquel ses geôliers ne reprochent rien, ses pensées se diffusant dans la tête du lecteur. Si c’est réussi ? Taquin, il est possible de brandir le fait que l’ennui pointe son nez une fois ou deux comme preuve irréfutable ! Ce qui n’est rien en comparaison d’une journée qui ressemble à la précédente (et probablement la suivante aussi), passée attaché dans une chambre quasi déserte. S’il y avait un reproche à faire, il serait de la même nature que ceux adressés aux polars où la scène finale est moins forte – ou en tout cas plus vite parcourue - que celles qui ont permis d’installer une tension montant crescendo.

Qu’importe, les gros bouquins de Mr Delisle, derrière une simplicité de façade, sont des fenêtres uniques ouvertes sur des théâtres où s’écrit l’actualité (sinon l’Histoire) du monde contemporain. Moins informatif que d'habitude, plus axé sur l’épreuve individuelle, ce dernier-publié n’en est pas moins incontournable.

Moyenne des chroniqueurs
6.8