La légèreté

A bsorbée à imaginer, au fond de son lit, les quelques phrases qui signifieront la coda d'une liaison dont l'issue ne satisfera personne, elle est à la bourre le 7 janvier 2015. Un retard salvateur : elle n’est pas dans la salle de rédaction de Charlie hebdo lorsque les frères « Kichi » (qui vous en voudrait de les écorcher, fut-ce de manière symbolique ?) répandent la mort.

En deux temps, de juin à août 2015, puis en janvier-février 2016 – les attentats du 13 novembre survenus, Catherine Meurisse s’est penchée sur cet épisode appartenant désormais à la mémoire collective et, surtout, inscrit en elle. Comment éviter les banalités cruelles pour synthétiser cette expérience, vue de l’extérieur s’entend : disparition brutale d’amis-de complices-de mentors, perte du goût de faire ce qu’on aime, d’un point de vue créatif ou contemplatif ; incapacité (ou très faible faculté) à rebondir malgré l’appui précieux de ceux qui restent et qui tentent de vous épauler ; volonté de trouver refuge dans des valeurs (l’Art) ou des lieux qualifiés de « sûrs » (la nature, ceux liés à l’enfance ou propices à une retraite éventuellement régénératrice). Et que dire de ce parti-pris, a priori incongru, consistant à chasser l’horreur en s’immergeant dans la Beauté ?

Ni journal, en dépit des repères chronologiques laissés ici et là, ni méthode curative, malgré quelques notions psy abordées, ni réel « envers du décor », outre quelques anecdotes livrées de l’intérieur par une victime au statut particulier, ni pensum à la gloire de l’Art-tout-puissant, même on s’y est cru à deux doigts, La légèreté est un… récit qui se conclut par une heureuse nouvelle. La quête s’est faite par étapes, voire tâtonnements, empruntant des voies variées, comme en attestent le style et le ton choisis pour restituer les séquences ayant émaillé ce parcours.

Ce livre s’ouvre sur la pointe des pieds (expression idiote, soit dit en passant, la pulpe des doigts devant être un vecteur émotionnel plus performant…), de peur d’occuper un rôle de voyeur. Inutile de chercher à vivre une sortie de traumatisme par procuration, de chercher à se repaître de coulisses post-Charlie, plutôt découvrir la voie d’une « remontée en surface », parsemée de passages franchement drôles tels des sursauts au cours desquels la nature profonde de l’individu se redresse provisoirement. Il se referme, non pas soulagé, mais avec une forme de promesse en poche : l’auteure de Mes hommes de lettres et de Moderne Olympia et autres petits bijoux d’espièglerie, tant dans le ton que dans la forme, peut tourner une page. Fin de l’amnésie, de l’anesthésie émotionnelle. Retour des souvenirs, de l’envie, notamment celle de créer de nouvelles bandes dessinées (pour le dessin de presse, cela semble révolu). Le mieux, à coup sûr, serait de ne jamais être tenté de relire La légèreté pour savourer ses prochains albums, en particulier ce « projet sur mon enfance à la campagne – la campagne de mon enfance et le regard adulte que je porte sur elle. » Vivement !

Moyenne des chroniqueurs
7.3