L'odeur des garçons affamés L'Odeur des garçons affamés

A u sortir de la Guerre de Sécession, la conquête de l’Ouest peut prendre son véritable essor. Dépêchées par le gouvernement, les missions de reconnaissance et de recensement se multiplient, avec pour objectif avoué l’exploitation des richesses d’une terre considérée comme vierge. C’est faire peu de cas des populations locales, dont les Comanches, passés maîtres dans l’art de conduire les chevaux.

L’odeur des garçons affamés est un album déroutant à plus d’un titre et dont il ne faut pas perdre de vue la portée symbolique pour en goûter tout le sel. La pièce qui se joue ici est celle de l’avenir d’un monde qui a l’opportunité de repartir de zéro. D’un côté, la prétendue civilisation, sûre de son bon droit, avance à grands pas. De l’autre, le monde sauvage résiste tant qu’il peut, avec les moyens qui sont les siens : forces de la nature, rêves, chamanisme… et bien sûr le cheval, car celui qui le dompte possède une longueur d’avance. Dans cette course folle, chacun tente d’imposer sa vision. Alors que certains se contentent de trouver dans cette terre aride un lieu de refuge, une possibilité de quitter un passé malsain, d’autres veulent façonner ce territoire selon leurs désirs personnels.

Les images fortes ne manquent pas, entre un chasseur de primes à moitié zombie qui se nourrit des chevaux et un chef indien qui, dans l’ombre, semble tirer les ficelles. Au milieu de tous ces intérêts divergents et parfois opposés, l’action se concentre sur deux personnages qui se rapprochent imperceptiblement : Oscar, photographe plus ou moins en fuite, et Milton, garçon de ferme qui ne fait pas mystère de ses intentions, s'affranchir de l'emprise des siens. Avec un chef de mission qui entend les mener à la baguette et semble lui aussi nourrir des projets secrets, ils vont arpenter les étendues désertiques dans un huis clos à ciel ouvert où un calme trompeur paraît ménager d’innombrables surprises.

Le dessin participe pleinement à l’immersion totale à laquelle le lecteur est convié. Les teintes, en particulier, jouent un rôle important dans l’installation d’ambiances propices au rapprochement entre les deux héros ou le rendu d’un soleil par moments éclatant. Les séquences oniriques, très belles, apportent comme un sentiment de douceur et de tendresse ; ce sont les visions silencieuses d’un cheminement personnel pour Oscar et Milton, à la croisée des mondes possibles. L’épilogue, magnifique d’espérance, invite à une évasion qui est le point d’orgue d’un album maîtrisé de bout en bout.