Les aventuriers de la finance perdue
C
omment naissent les bulles financières ? Comment grossissent-elles, deviennent-elles hors de contrôle, enflent-elles encore, jusqu’à l’éclatement inévitable et pourtant jugé tellement inattendu ? Par quels mécanismes l’économie spéculative vient-elle ensuite contaminer l’économie réelle ? Et quelle mystérieuse alchimie transmute les pertes abyssales des investisseurs privés en dettes publiques ?
En prenant comme prétexte le procès Kerviel, en le transformant en procès virtuel et symbolique de la finance, les deux auteurs répondent à toutes ces questions et en abordent bien d’autres. À quoi sert un trader ? Une banque centrale ? Une agence de notation ? Comment les paradis fiscaux siphonnent-ils les mannes capitalistiques dans les phases de croissance, puis amplifient les crises par leur opacité une fois le krach survenu ? Et la crise grecque dans tout ça ? Quels systèmes de régulation pour demain ?
Assurément, le thème est vaste, relativement complexe, mais en l’abordant de manière feuilletonesque – l’ensemble fut prépublié en épisodes sur le site du magazine Alternatives économiques – James et Chavagneux évitent l’écueil du trop-plein d’informations vaguement indigeste que le sujet pouvait générer. Et puis, surtout, l’album est ponctué de traits d’humour salvateurs qui donnent un bel équilibre entre l’ironie mordante du discours et la dose de pédagogie nécessaire à la compréhension des enjeux. Il faut dire que la forme choisie – le procès – permet de multiplier les intervenants témoignant chacun de tel ou tel aspect du problème ou le mettant en perspective. Rappels historiques, contexte politique, conséquences sociales, précisions techniques, anecdotes édifiantes, autant de points de vue venant enrichir le propos. Ultime détail au service de cette efficacité didactique, le dessin : une ligne vive et énergique, dans la tradition de la caricature de presse, proche de l’épure – Chaval n’est pas loin parfois –, soulignée par une bichromie en bistre et sable, et une mise en page classique mais efficiente.
À l’heure où les révélations des Panama Papers semblent enfin déciller les yeux d’un grand public habitué au ronronnement consensuel des JT institutionnels, cet ouvrage est un parfait manuel de décryptage des pratiques délétères de la finance internationale.
7.0