Corps et âme (Hill/Matz/Jef) Corps et âme

F rank Kitchen est un tueur. Le genre de personnes qu’on appelle pour refroidir des mauvais payeurs ou des traîtres qui n’auraient pas respecté une parole ou vendu un frère d’armes à l’ennemi. Son dernier contrat était d’une simplicité presque banale : assassiner un mannequin et designer après un défilé était dans ses cordes. Pas de remords, pas de doutes… Le geste est précis et rapide. De l’argent gagné facilement en attendant le prochain coup de fil. Mais cette mission d’apparence anodine est différente. La mort du styliste appelle une vengeance et Frank va en faire les frais.

Autant commencer par les bémols, il n’y en aura pas beaucoup. La couverture, bien qu’intrigante, n’appelle pas forcément l’ouverture de ce gros album édité chez Rue de Sèvres. Et pourtant, la première planche, un plan serré en trois cases sur une paire d’yeux terriblement expressifs, est une formidable invitation à la lecture. Après Balles Perdues, le duo Matz/Jef réalise une nouvelle fois une adaptation très convaincante d’un scénario signé Walter Hill. Le pitch serait d’une banalité affligeante si le genre ne s’était pas trouvé renouvelé - ceux qui liront l’album trouveront une autre signification à cette dernière phrase. L’ambiance est poisseuse à souhait : hôtels miteux, bars mal famés, rues sombres et sales… une atmosphère oppressante qui doit beaucoup au travail de Jef. Tous les personnages ont une vraie gueule et pas simplement un visage immédiatement reconnaissable. Le passé se devine sur les traits de Frank, la folie se lit dans les yeux du docteur, la détresse de Johnnie est immédiatement perceptible… Que dire également des scènes de combat, très cinématographiques comme l’ensemble de l’album, semblant extraites d’un film de Tarantino façon Kill Bill. Les plans se succèdent : trois images muettes indiquant des lieux différents, précédées d’une pleine page mettant en scène Frank Kitchen en pleine action, puis trois autres encore montrant le même homme avec un sac de voyage sur l’épaule. Il n’en faut pas plus pour résumer en une poignée de cases son existence : du grand art.

La narration à la première personne déjà utilisée par Matz dans Le Tueur notamment, prend ici tout son sens. Tout d’abord parce que la psychologie d’un assassin est diablement plus efficace vue de l’intérieur. Le sang-froid - ou froideur, c’est selon - exprimé en voix off, c’est bien. Mais quand il est expliqué dans ses moindres détails juste avant le passage à l’acte, le frisson gagne également le lecteur. Surtout, l’incroyable changement que subit Frank - il faudra lire l’album pour en savoir plus - est vécu et raconté par le principal intéressé. Efficace, intelligent et percutant.

Le tournage de Corps et Âme par Walter Hill est en cours avec notamment Sigourney Weaver et Michelle Rodriguez. La sortie est prévue en France courant 2017 ; en espérant que le film soit du même acabit que l’album.

Moyenne des chroniqueurs
7.4