La vraie vie

A gent municipal le jour, Jean passe ses nuits sur internet : entre youtubing, maravage sur Counter Strike, tweets, contacts au-p'tit-bonheur-la-chance et sexe virtuel. Et si ses collègues se moquent de cette manie de vivre par écrans interposés, Jean est fasciné par ces rencontres aléatoires, par cette sensation de liberté et d'intimité que procure l'anonymat. Paradoxalement, la protection d'un pseudo nourrit une proximité rare entre les individus. Alors qu'il démarre une relation amoureuse IRL, il entame un échange photographique et intime avec une inconnue qui vit aux États-Unis.

Vie réelle versus vie virtuelle, c'est un sujet à la mode. La vraie vie le traite avec lucidité et subtilité, sans l'habituelle caricature et le jugement dont les médias raffolent lorsqu'ils ont à parler des cyber-addicts. Jean sait équilibrer ses deux vies et chacune enrichit l'autre. D'abord léger et ludique, le scénario vire au drame dans sa clôture, mais difficile d'évaluer ce que cette tragédie apporte au discours. Certes, cela permet une belle fin amère qui pose l'éternelle question de l'impact du passage de chacun sur ce monde. Et est-ce que la plus forte empreinte ne serait pas sur des serveurs plutôt que dans le réel ? Qui est le plus vivant ? Les souvenirs volatils des proches ou les millions de pixels de photos, de textes, d'interactions figés pour l'éternité dans le web ?

Traits épais à l'encre noire, couleurs vives et saturées en contraste avec de belles planches en clair-obscur où le rouge et le jaune éclatent sur la nuit, le graphisme de Grégory Mardon est un écrin clair et moderne qui offre une facilité agréable de lecture. La vraie vie constitue un exercice lucide sur les rapports entre le web et l'IRL.

Moyenne des chroniqueurs
5.5