Sociorama Chantier interdit au public

Chantier interdit au public. Et pour cause, entre les règles de sécurité bafouées en permanence, les conditions de travail précarisées à outrance, les hiérarchies multiples, visibles et invisibles, les cadences intenables et les sans-papiers aliénés aux maquignons de l’intérim, le spectacle est loin d’être reluisant derrière les palissades des géants de la construction. Découvrez donc l’envers du décor de Boucifage, pseudonyme sans guère d’équivoque des trois principaux opérateurs nationaux de travaux publics, en compagnie de Soleymane le malien, coffreur émérite et vétéran du bâtiment, et de son copain Hassane, jeune ferrailleur plein d’illusions mais passablement maladroit.

Ce petit bouquin broché est la première livraison de la collection Sociorama, qui déboule chez Casterman sous la houlette de Lisa Mandel. L'ambition est de faire se rencontrer les mondes de la bande dessinée et de la sociologie, sous forme d’enquêtes de terrain ancrées dans la réalité contemporaine. Adapté d’un livre de Nicolas Jounin paru en 2008, le présent recueil aborde sans fard les dessous du BTP. On y découvre l’étrange système de castes régissant le milieu : les chefs de chantier français, les chefs d’équipe portugais, les ouvriers arabes, et, les plus nombreux, les manœuvres africains, les boubous, les mamadous… et chacun de hurler sur la caste inférieure pour accélérer le rythme de travail. À cette organisation se superpose la hiérarchie des appartenances, avec les employés du maître d’œuvre au sommet, puis les (nombreux) sous-traitants et enfin les (encore plus nombreux) intérimaires, composés essentiellement de travailleurs clandestins.

Pour illustrer cette vibrante fourmilière humaine, la dessinatrice Claire Braud (Mambo, Alma) use d’un trait fin et plutôt détaillé, mais aussi de figures volontiers caricaturales, pour aboutir à un mélange efficace de réalisme documentaire et de satire expressive non dénuée d’humour. Bon, assez grinçant l’humour, fatalement, mais le message passe d’autant mieux qu’il est ainsi incarné, humanisé par les personnages pittoresques traversant le récit.

Moyenne des chroniqueurs
5.5