Le chant du cygne (Dorison/Herzet/Babouche) 2. Qu'un seul nous entende

A près leur coup d’éclat contre Morvan et ses pandores, les hommes du lieutenant Katz n’ont plus vraiment d’alternative : c’est la fuite en avant, irrémédiable, sanglante, funeste… Parvenir à Paris coûte que coûte, délivrer leur précieuse missive, enrayer la machine implacable du carnage à venir : plus rien d’autre n’a d’importance, et tous les moyens seront bons pour accomplir cette mission. Mais l’obstination quasi pathologique de leur poursuivant, puis l’imprudence des uns, l’inconséquence des autres, les désirs de liberté, les petites lâchetés, la peur, encore et toujours, autant d’obstacles à surmonter avant d’atteindre l’Assemblée Nationale.

Après un premier tome réussi, présentant une belle brochette de héros ordinaires plongés dans un drame les dépassant, après une exposition progressive et posée de l’intrigue et des enjeux, le second opus passe à la vitesse supérieure. En offrant moultes scènes d’actions, en enchaînant les séquences courtes, en sautant d’un groupe de personnages à un autre, le rythme est très soutenu, et va crescendo jusqu’au dénouement. Seuls, quelques jolies pauses narratives, quelques délicats temps suspendus, viennent insuffler un peu d’humanité dans cette sombre aventure, et accorder un semblant de répit au lecteur.

Le tempo nerveux est largement renforcé par le découpage dynamique de Cédric Babouche : plus encore que dans le volume précédent, le dessinateur recours aux vignettes étroites, étirées sur toute la largeur des planches, empilées en masses débordantes d’énergie. Une vigueur appuyée par la vibrance de l’aquarelle utilisée en couleurs directes par l’auteur, qui manie volontiers les teintes vives et chaudes. Le trait quant à lui reste marqué par l’influence notable de l’animation japonaise, particulièrement lorsqu’il s’agit de transcrire les sentiments des protagonistes. Ce graphisme étonnant qui avait passablement divisé le public lors de la parution de Déjà morts demain trouve pourtant sa pleine justification et fini par emporter l’adhésion après coup. L’ensemble se doit d’ailleurs d’être considéré et lu d’une traite pour s’apprécier complètement, jusqu’à cette conclusion tragiquement amère qu’on imagine inévitablement.

Un dernier mot sur le sous-texte historique de l’intrigue : il s’agit bien sûr d’une fiction, traitant à un siècle de distance des événements tragiques de la Der des Der. Mais si cette épopée parait assez improbable à qui s’est nourri d’Histoire officielle une vie durant, nombre d’éléments composant ce récit sont néanmoins avérés : les pétitions de soldats réclamant l’arrêt des massacres, les compagnies tentant de marcher sur Paris, les échauffourées dans les gares, la répression sanglante : tout cela est bel et bien arrivé lors de ce terrible printemps 1917.

Moyenne des chroniqueurs
7.0