Empire (Waid/Kitson) 1. Tome 1

L a Terre est en passe d'être unifiée, sous la tutelle énergique de l'Empereur Golgoth. Chef de guerre d'exception, ce personnage ambigu fait régner sa loi par la terreur. Terreur de ses armées, mais surtout de ses ministres, de véritables bêtes de guerre, rendus surhumains par une drogue mystérieuse nommée Eucharistie. Pour cette drogue, et surtout pour ne pas en être privés, les valets de l'Empereur sont prêts à tout. Mais le régime tient surtout par l'efficacité des services de renseignements impériaux, dirigés par le ministre Kafra, un hybride d'homme et de machine capable de contrôler et de manipuler chaque source d'information en temps réel. Tout cela ajouté au culte de la personnalité de Golgoth et au mystère qui entoure cet homme que nul, pas même sa fille, n'a vu autrement qu'engoncé dans son armure, fait de son règne un modèle de régime totalitaire.

Voilà une excellente surprise que ce comic édité par Semic. Passés la couverture d'un goût douteux et un logo à l'avenant, Mark Waid et Barry Kitson nous plongent au coeur du pouvoir en place, et s'intéressent à la vie des ministres impériaux, personnages extraordinaires, ultra-paranoïaques, pervers et ambitieux, mais enchaînés à leur maître par l'Eucharistie et le bonheur que cette drogue procure. Il s'agit donc ici d'observer de l'intérieur le fonctionnement de la machine gouvernementale que Golgoth a fabriquée. Le résultat est surprenant. Très peu de scènes se déroulent hors du Palais, ce qui donne l'impression que ce régime fonctionne en autarcie, complètement déconnecté du monde. Dans Empire, les pays ne sont que de vagues formes géométriques, sur une carte, quand ils ne sont pas considérés uniquement comme réserves de matières premières. Les dirigeants de ces terres sont des animaux qu'il faut domestiquer, et les populations au mieux des robots serviles. La guerre totale en train de se dérouler a ainsi des airs de jeu de stratégie orchestré par une tête pensante unique, quasi omnisciente et omnipotente.

Autant dire que ce choix courageux des auteurs de ne montrer qu'un côté de la lorgnette a de quoi déstabiliser l'amateur de super-héros classiques. Waid refuse catégoriquement tout manichéisme en plaçant ses héros au dessus des notions de bien et de mal. Nous avons affaire ici a un dieu et à ses demi-dieux, chacun possédant une personnalité et des motivations complexes, des qualités et des travers. Tous recherchent plus de pouvoirs, plus d'Eucharistie. Ce sont des dieux créés par l'homme à son image, mais une image décadente, déformée et amplifiée.

Empire rappelle par certains côtés l'univers Marvel. On pense à Galactus le dévoreur de mondes, aux New Gods... L'esthétique de Barry Kitson n'y est pas étrangère : alors que la plupart des dessinateurs actuels sont revenus à une certaine sobriété dans le design des costumes de leurs personnages Empire fait dans le spectaculaire : les armures sont énormes et clinquantes, à la démesure de ceux qui les portent, et ce ne sont pas les couleurs très vives d'Alex Blayeart et Chris Sotomayor qui atténuent cette impression. A l'ère des héros aux préoccupations proches des gens normaux, tout dans ce comic book (y compris les noms: Tumbril, Lucullan, Valpurgis ou Golgoth lui-même) rappelle un pan de l'histoire de la bande dessinée américaine presque oublié aujourd'hui en France.

Intelligent et divertissant, Empire est la lecture parfaite pour les blasés des super-héros, les nostalgiques et tous les novices en matière de comics. Une belle réussite.

Moyenne des chroniqueurs
7.0