(AUT) Lacombe, Benjamin Marie-Antoinette - Carnet secret…

1770. Âgée d'à peine quatorze ans, la jeune Madame Antoine quitte Vienne pour devenir Dauphine de France, munie d'un long compendium rédigé par son impériale génitrice : un mode d'emploi de la royauté à relire tous les mois. Il faut dire que Marie-Thérèse a quelque peu négligé l'éducation de sa dernière fille et que c'est lorsque les fiançailles se sont précisées qu'elle s'est rendue compte que la promise, pourrie-gâtée, surprotégée par ses préceptrices, ne savait ni lire, ni écrire, ne maîtrisant aucun mot de français. Madame Antoine était une vraie "tête à vent", sachant la musique et la danse à merveille, compensant ses lacunes intellectuelles par la grâce de ses manières.

De nombreux auteurs se sont penchés sur le destin de cette archiduchesse d'Autriche devenue reine tragique, à la personnalité complexe et controversée. Était-elle stupide, futile, calculatrice, naïve ? À la fois victime, icône ou objet de haine, Marie-Antoinette n'a jamais laissé indifférent son public depuis ce jour de 1770 où elle a franchi, nue, la frontière séparant le Royaume de France du Saint Empire Germanique. Benjamin Lacombe, aidé de l'historienne Cécile Berly, se livre ainsi à ce difficile exercice consistant à donner sa version de cette femme aux multiples facettes. L'ouvrage prend donc la forme d'un journal intime, dont les moments marquants sont rythmés par d'authentiques lettres de ses proches.

Au premier plan, celles de sa mère, qui tente de rattraper toutes ces années de carence éducative. Intrusive, envahissante, Marie-Thèrèse voit tout, juge tout : elle se tient au courant des règles de sa fille, de son coucher avec le roi, de ses loisirs, de ses propos, de ses tenues. Rien n'échappe à l’œil de Vienne, impitoyable dans ses admonestations, qui alternent flatteries et assassinat verbal avec une acuité prophétique. Dès 1775, elle prédit ainsi "les plus grands malheurs". Marie-Antoinette n'a jamais tenu de journal, à l'instar de son époux, mais a répondu fidèlement à cette avalanche de courrier. L'auteur reprend donc ses mots, ses tournures de phrases pour composer un vrai-faux carnet qui se clôt par la reproduction du dernier texte, touchant par son amour et sa miséricorde, écrit à quatre heures du matin à la sombre lueur de la Conciergerie, quelques heures avant son exécution. Difficile, même pour un œil expert, de différencier la part historique de la romancée, ce qui rend ces carnets secrets plus vrais que nature.

Outre ce travail d'une belle authenticité sur le texte, Benjamin Lacombe ajoute tout un jeu d'illustrations. Quelquefois psychédéliques, parfois académiques, mais toujours d'une parfaite technique, il détourne et déforme les plus célèbres portraits tout en conservant leur beauté et leur style. Il intercale toiles de Jouy, croquis mécaniques, plans d'architectes, gravures de mode et abominables pamphlets révolutionnaires dans un kaléidoscope graphique aussi protéiforme que la psyché de son sujet. À cela, il faut aussi souligner la qualité de l'édition : papier épais, pages dorées à l'ancienne, colorisation chatoyante. Tout concourt à faire des carnets secrets d'une reine un magnifique ouvrage.

Malgré cette plongée au plus proche de l'intimité de la reine, celle-ci conserve son éternelle part de mystère qui fascine et divise depuis deux siècles et demi. Assurément un très beau livre, à la fois par son historicité impeccable, par le respect de son sujet et par la beauté de ses peintures, qu'il ne faut pas hésiter à déposer au pied d'un sapin.

Moyenne des chroniqueurs
8.0