Merlusse

B orgne et bourru, le géant Blanchard, dit Merlusse, n'a vraiment pas la cote dans ce pensionnat pour garçons aisés de Marseille. On raille sa mauvaise hygiène en prétendant qu'il pue la morue, d'où son sobriquet marin. Ses collègues lui laissent les tâches dont personne ne veut, sa promotion est bloquée. Quant aux élèves, ils font courir les pires rumeurs sur lui, le qualifiant d'étrangleur, brodant les pires interprétations au sujet de son œil manquant, parsemant son ombre d'une noire légende. A la veille de ce Noël 1913, Merlusse hérite de la pire corvée : faire l'étude du 24 décembre. Et parce qu'un coonfrère se débine, il se retrouve à devoir assurer la nuit auprès de tous ces enfants que leurs parents, pourtant riches, ne viendront pas chercher.

Dans le cadre du cent-vingtième anniversaire de la naissance de Marcel Pagnol, sous l'impulsion de son petit-fils, les éditions Bamboo lancent une série d'albums dédiée à ses œuvres. Merlusse est un texte un peu à part, écrit à l'origine pour le cinéma sous la forme d'un conte de Noël. C'est l'histoire de la rencontre entre plusieurs solitudes : celle d'un ogre à la noire réputation et de gamins abandonnés, mais aussi celle du poison de la rumeur et des non-dits. Il montre comment la bêtise et l'ignorance, le plaisir du persiflage séparent, excluent des êtres qui ont tout pour s'entendre. Au cours de cette nuit de Noëlsacrée, les masques tombent. L'enseignant-paria se mue en figure paternelle et exemplaire, les sales mômes se révèlent sensibles et généreux. Tout va changer en une nuit pour l'infortuné Merlusse.

Lycée chic, le bâtiment a pourtant une figure sinistre sous les pinceaux combinés de A.Dan et Magali Paillat. Gris, sombres, les vastes murs de pierre le font ressembler à une vieille prison défraîchie. Un sentiment angoissant d'enfermement et d'oubli jaillit de cette colorisation hivernale. Touches par touches, la chaleur des couleurs irradie, au fur à mesure que les vitres invisibles fondent, que les empathies s'éveillent. Résumant tout en un seul dessin, la couverture est superbe, poignante et mélancolique.

Une jolie adaptation, bienvenue pour les fêtes.

Moyenne des chroniqueurs
6.0