Chicagoland
M
aryanne allume une cigarette. Un geste anodin, si ce n’est qu’elle a commencé à fumer il y a à peine un an. Aujourd’hui, elle doit tirer un trait sur son passé, essayer de calmer une douleur lancinante née depuis qu’elle a appris la mort de sa sœur Carole, assassinée. Dans une poignée d’heures, le meurtrier va prendre place sur une chaise électrique et elle pourra enfin le voir souffrir et agoniser, un exutoire qu’elle attend depuis trop longtemps. L’histoire aurait pu s’arrêter ainsi si l’inspecteur Maguire, qui a mené l’enquête, ne lui avouait après l’exécution que l’homme qu’elle vient de voir mourir n’est sans doute pas l’assassin de Carole.
Le succès du romancier R.J. Ellory s’est fait sur le tard, mais depuis le début des années 2000, ce quinquagénaire britannique écrit, tel un métronome, des récits qui rencontrent chaque année un public de plus en plus large. Son credo ? Des polars et des thrillers dont la plupart se déroulent aux Etats-Unis sur fond d’atmosphères lourdes et de mystères non élucidés. Fabrice Colin, lui-même écrivain avant d’être scénariste de bande dessinée, adapte ici « Three days in Chicagoland », un recueil de trois nouvelles publiées sous forme d'e-books en 2012.
La structure même du récit apporte un peu d’originalité à ce polar se déroulant à la fin des années cinquante de l’autre côté de l’Atlantique. Trois points de vue différents, exposés les uns après les autres, rythment l’histoire du meurtre de Carole Shaw ou, plutôt, ce qui a conduit son bourreau à passer à l’acte. La partie centrale mettant en scène l’inspecteur Maguire est sans doute la plus aboutie, mais pas uniquement parce que le flic et son feutre mou incarnent presque à eux seuls l’ambiance des années cinquante. Elle constitue non seulement le lien mais aussi le reflet parfait des deux autres regards, celui de Maryanne, la sœur de la victime, et celui de Lewis, l’homme qui sera (à tort ?) exécuté.
Adapter un roman, un thriller en particulier, passe forcément par quelques astuces narratives - notamment dans les moments forts - qui apportent une vraie valeur ajoutée à la bande dessinée. En ce sens, la mise à mort de Lewis vue de l’intérieur ou l'enchaînement des deux cases durant lesquelles Maguire prend conscience de son erreur prouvent que le travail de Fabrice Colin est globalement réussi. Le travail à la tablette graphique et surtout la douceur des couleurs de Sacha Groeg apportent à l’histoire une sobriété bienvenue.
La conclusion en forme d’épilogue n’est sans doute pas nécessaire et pénalise presque le récit qui aurait très bien pu s’achever quelques pages auparavant. Chicagoland est néanmoins un album qui mérite à coup sûr le détour, ne serait-ce que pour profiter d’un auteur qui, après La Brigade Chimérique, se fait bien trop rare dans le 9ème Art.
6.8