Julio Popper : Le dernier roi de Terre de Feu

1886, la Terre de Feu, à l’extrême pointe de l’Argentine, un bout du monde âpre et désolé. La fièvre de l’or qui avait attiré chercheurs avides et baroudeurs de tous poils est déjà en train de retomber à mesure que les filons s’épuisent. C’est pourtant là que Julio Popper décide de s’installer, méthodes scientifiques à l’appui, pour extraire le précieux minerai. Né en Roumanie, éduqué en France, touche-à-tout talentueux, ingénieur polyglotte, globe-trotteur, aussi à l’aise dans les bas-fond des bourgades minières qu’au sein de la haute société portègne, ce bâtisseur infatigable va en quelques années se tailler un domaine gigantesque. N’hésitant pas à faire le coup de feu contre les intrus, à défier le pouvoir politique, il explore, cartographie, administre une région entière, allant jusqu’à battre monnaie et imprimer ses propres timbres. Et bientôt, c’est le tout proche Antarctique qu’il rêvera de conquérir…

Personnalité complexe, multiforme, aux compétences foisonnantes, au tempérament inépuisable, au destin extravagant, nul romancier n’aurait probablement osé créer un héros si rocambolesque. Mais c’est également un personnage controversé, car le nom de Popper est souvent associé au génocide des indiens Onas et Selk’nam de la fin du XIXe siècle. Le lecteur se souviendra peut-être l’avoir vu mener la charge massacrant la famille du jeune Esteban au début de la série éponyme. Mais c’est un portrait bien plus contrasté qui est livré ici par Matz - au prix de quelques dialogues un peu démonstratifs - qui tente une réhabilitation en règle du bonhomme, en avançant que les célèbres photos montrant des cadavres de fuégiens sont avant tout une mise en scène destinée à flatter les instincts sanguinaires du président argentin. Le fait est que cette représentation de l’aventurier sonne plutôt juste et semble cohérente avec ses actes et ses écrits.

Choisi pour mettre en images cette épopée, Léonard Chemineau (Les amis de Pancho Villa) confirme son sens aigu de la composition ; ses figures - bien qu’un peu raides - détaillées d’un trait net et appuyé donnent vie avec élégance aux protagonistes, les paysages immenses d’El Paramo sont finement dépeints par la colorisation dense et soignée du dessinateur – qui prend lui-même les pinceaux pour l’occasion. Une restitution somme toute assez naturaliste de cette contrée sauvage, et une évocation édifiante d’une destinée hors norme.

Moyenne des chroniqueurs
7.0