L'Âge de bronze 2. Sacrifice

O n en aurait ri si l’histoire s’était arrêtée là. Peut-être même n’aurions nous jamais entendu parler de Troie. C’est que l’affaire était mal engagée. Dans sa précipitation, la flotte de mille navires se trompe d’objectif et abat son courroux sur Télèphe et les siens, un roi qui ne demandait rien à personne. La boulette. On frôle le vaudeville.
Mais la méprise a un coût. Les troupes sont quelque peu décimées et les leaders démotivés. Tout ce sang versé pour rien ! Chacun rentre chez soi, sauf Ulysse dont le calvaire a débuté. Sa sagesse et son sens politique sont indispensables à Agamemnon pour monter la seconde expédition. Ithaque et Pénélope attendront.
On promet gloire et richesses aux uns. On rappelle aux autres leur serment. C’est insuffisant mais, cahin-caha, l’armée se reconstitue. Et voilà que les dieux s’en mêlent. Les vents bloquent la flotte à Aulis et l’armée s’impatiente. Alors on met sur le tapis la belle Hélène, sa beauté pour commencer, puis son corps, ses seins. On sombre dans le vulgaire et les enchères montent. L’enjeu devient colossal, hors de contrôle. Le grand roi y joue son trône, peut être même sa vie. Le prix de tout cela est un sacrifice de sang. Agamemnon devra le payer de sa chair. C’est qu’on ne bluffe pas avec les dieux.

Dans un style très académique, presque scolaire, Shanower nous retrace par le menu la petite histoire de la Légende. Les dieux sont omniprésents sans jamais apparaître : c’est une croyance du quotidien qui forge les plus grandes tragédies. Et l’on voit avec un rare plaisir les héros aux noms mythiques resurgir des limbes de notre mémoire pour reconstituer un puzzle cohérent. Agamemnon, Ménélas, Ajax, Ulysse, Achille, Nestor, Clytemnestre, Iphigénie, Patrocle… Ils sont tous là, acteurs de leur propre immortalité.

Quelques regrets cependant. La partie troyenne du début manque d’intensité au regard des cent dernières pages. Mais Shanower ne semble pas disposé à faire de concession avec la rigueur du récit. Et la manière dont Télèphe accueille à bras ouverts ceux qui ont trucidé son épouse la veille manque de crédibilité. Autres temps, autres mœurs, sans doute. Mais ce sont des détails.

Rehaussé par le magnifique travail d’Akiléos qui n’a pas hésité à prendre le parti du grand format, contrairement à l’original, L’Age de Bronze est à cent lieues du sombre navet cinématographique qui nous a été servi récemment, pâle remake du Jour le plus long version péplum. C’est une œuvre ciselée avec patience, une oeuvre intelligente et sensible.