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C onstance n’a plus de parents. Alors, elle vit avec son pépé et sa mémé. Lui, une vie pleine de contrariétés l’a rendu misérable. L’alcool l’aide à se résigner. Elle, la frustration en a fait une femme aigrie, acariâtre et violente. Le tableau est peu reluisant, et le cadre de la maison, dont la jeune fille ne peut sortir, bien trop étroit pour permettre à un enfant de s’épanouir.

Entre punitions et restrictions, enfermement et tentatives d’évasion par l’imaginaire, Constance tente d’aller de l’avant. Difficile quand les seules sources d’éducation sont les lectures imposées par la grand-mère et les cours qu’elle lui dispense dans l’enceinte de la vieille demeure, signe d’un patrimoine qui s’étiole. Fille de substitution, la pauvrette l’est assurément, elle qui doit vivre dans l’ombre d’Éléonore, son aînée couronnée de perfection qui périt et laissa un vide dans la famille alors qu’elle était encore petiote. Son portrait en habits de communiante, qui trône dans la bâtisse, fait peser sur les épaules de l’héroïne un poids impossible à supporter. Elle ne sera jamais à la hauteur ; c’est évident.

Tout autour d’elle, il y a travestissement de la réalité, comme si, en définitive, il fallait surtout sauver les apparences ; celle d’une richesse passée, d’une maisonnée bien tenue, d’une cohésion de façade pour une famille qui, en fait, se déchire. Prendre ses désirs pour des réalités, l'aïeule sait le faire. Accepter la différence, c’est autre chose. Derrière cette fuite se cachent bien sûr des souffrances, mais aussi le refus de voir le monde tel qu’il est. L’aliénation des corps et des esprits fait son œuvre, avec à la clé un sentiment de perte d’identité, de flou qui entoure un avenir incertain dans un monde que l’on aimerait croire figé.

Page après page, Matthias Lehmann crée un vrai petit théâtre où triomphent l’esprit de clocher et la politique de comptoir, où chacun essaie malgré tout de se faire une place. Avec ce dessin qui rappelle les gravures d’antan et ces planches aux constructions éclatées, il propose de fait une succession de tableaux, de pans de vie qui, ensemble, forment une destinée morcelée, chahutée. L’espoir, en dépit de toutes ces avanies, reste présent pour cette petite fille qui ne veut qu’une chose : la délivrance.

Moyenne des chroniqueurs
8.2