Sauvage (Hersent/Morvan/Bévière) Sauvage - Biographie de Marie-Angélique…

SAUVAGE. Biographie de Marie-Angélique le Blanc. 1712-1775. Le titre est austère, enluminé comme il se doit pour présenter avec sérieux un destin pas comme les autres. L’illustration de couverture, pourtant, vient tempérer cette austérité par des couleurs vives et une composition dont émane une grande violence. En une image, Gaëlle Hersent donne le ton qui prévaudra tout au long de l’album, témoignant d’une opposition entre sauvagerie et civilisation, bestialité et intelligence.

Au cœur du récit, il y a cette peur invariablement inspirée par le sauvage, l’étranger, celui qui ne correspond pas aux standards d’une époque où le progrès est en marche. La tolérance et le rejet se disputent sempiternellement le devant de la scène et face à cet être venu d’ailleurs, les réactions divergent, allant de la simple curiosité au voyeurisme malsain, en passant par la volonté d’en être, d’assister à ce que tout le monde considère finalement comme un phénomène. De foire ? Il y a un peu de ça, et l’infortunée Marie-Angélique, déracinée, se retrouve au milieu d’un conflit plus ou moins déclaré entre un conservatisme empreint de religion et un progressisme qui tente de répandre les Lumières. Manipulée, elle tente surtout de rassembler ses propres souvenirs qui lui reviennent par bribes. Qui était exactement cette négresse avec qui elle vivait en forêt ? Est-elle esquimau ? Quelle est cette blessure qu’elle porte en elle ?

Sa métamorphose est le véritable fil conducteur de l’histoire. De bête exposée dans sa plus crue nudité, elle tend à retourner vers la normalité. Un retour difficile. Sa force, elle la puise en quelque sorte dans la religion, mais pas celle, inaltérée et rigoriste, imposée par le catéchisme. Non, sa croyance à elle est un mélange tout personnel de christianisme et de pratiques païennes, le tout mêlé à une fascination pour la lune dont les rayons, un soir, vinrent illuminer une statue de la Vierge. Guidée par sa foi naissante et déjà mise à mal par le côté le plus bassement humain d’une institution avec laquelle elle entretient des rapports contrastés, finira-t-elle par réconcilier deux univers qui, au lieu de s’opposer, pourraient se compléter ? Telle est la question à laquelle l'épilogue viendra apporter un début de réponse.

Pour porter cette fable humaniste narrée par Aurélie Bévière et Jean David Morvan, Gaëlle Hersent livre pour son premier album une performance remarquable. Au premier abord, son trait peut paraître un rien brouillon, voire peu affirmé, mais c’est un dessin qui ne prend son sens qu’à la lecture. L’expressivité des personnages est une réussite, tandis que le mouvement est parfaitement rendu et que les couleurs, loin d’être purement décoratives, créent des ambiances qui reflètent tantôt les déchirements de l’âme de l’héroïne, tantôt ses soulagements. De longues séquences contemplatives, entièrement muettes, sont de beaux exemples d’une utilisation maîtrisée des silences, des respirations, des symboles qui en disent plus que de longs discours.

Comme en signe d’espoir, l’album se clôt de façon admirable, toutes les distorsions de la trame temporelle trouvant dans une dernière belle image leur justification. Porteuse d’un message d’espoir et d’entente entre les peuples, la destinée de Marie-Angélique le Blanc, enfant sauvage, autrefois connue sous le nom de Mahwêwa, trouve aujourd'hui encore un écho particulier.

Moyenne des chroniqueurs
6.7