Gros bois

Leur vie est si triste, ils ne cherchent même plus à la sauver…

En effet, les femmes et les hommes que dessine Jérémy Le Corvaisier sont laids, non seulement en apparence, mais aussi en pensées. Portés par leur ennui, leurs frustrations et leur bêtise, ils se croisent sans échanger beaucoup plus que de l’agressivité ; la loi du plus fort prévaut au sein de ce territoire où tout le monde se connait. Encore plus que pour Fastermarket, son premier album, l’auteur donne le sentiment qu’il n’est pas possible d’échapper à la fatalité du lieu, à ce qu’il a d’oppressant et d’aseptisé, impression décuplée par sa mise en couleur et son trait d’une précision presque maladive.

Les protagonistes semblent éloignés de tout, à moins qu’ils n’aient eux-mêmes coupé ce qui les reliait à la possibilité d’un ailleurs meilleur. Jérémy Le Corvaisier délaisse la périphérie de la ville pour ce qui pourrait être un village, sans que ça y ressemble tellement, si ce n’est parce que la forêt de sapins qui l’entoure paraît sans fin. États-Unis ? France ? Le flou est savamment entretenu, à la manière de ce que donnent à percevoir Mezzo et Pirus dans Le roi des mouches, permettant ainsi de jouer sur les détails destinés à extraire le pire des uns et des autres. Le décor est planté, il s’agit de le faire vivre.

Dans Fastermarket, une improbable enquête servait de fil conducteur, ce n’est point le cas ici où le scénario suit le fil qu'il déroule au gré des pages vers l’irrémédiable : une fin apocalyptique et pathétique. Le chemin qui y mène est tortueux, presque pénible, faisant la part belle à la surenchère, laquelle ne parvient pas à dissimuler le vide qui habite le récit, bien au-delà de celui qui hante ses personnages. L’accumulation du glauque, du sordide, qui servent d'ingrédients de base à cette bande dessinée, sans que rien ne perce derrière, se révèle page après page très gratuit. Les dialogues sont à l’avenant et versent dans l’esbroufe, participant ainsi à l'impression générale d'avoir affaire à une succession de séquences improbables mises bout à bout. Dommage, car Jérémy Le Corvaisier a indéniablement du talent et une patte bien à lui avec notamment de bonnes idées narratives. Cependant, dans le cas présent, il n’est pas parvenu à canaliser ces qualités afin de permettre à son livre de se dispenser de sens. C’est là toute sa limite.

Moyenne des chroniqueurs
3.5