Ressentiment 1. Volume 1

À bientôt trente ans, Takuro Sakamoto dresse un plutôt sombre bilan de son existence : il est moche, gras, chauve, n’a pas de conversation… et le prépuce qui coince. Modeste employé d'une imprimerie de Tokyo, toujours hébergé chez ses parents, il n’a guère que deux vieux copains de lycée en guise de relations sociales. L’un deux, geek achevé, va le convaincre de se plonger dans le monde d’Unreal, vaste univers cybernétique où les déçus de la vie peuvent multiplier les conquêtes sentimentales virtuelles, en achetant des lolitas numériques prêtes à les chérir au premier clic. Ainsi, Takuro va vider son compte en banque pour s’équiper : PC de compétition, casque, combinaison connectée, île déserte pour abriter ses ébats… et Tsukiko, la plus parfaite des petites amies électroniques. À un léger détail près, cependant, celle-ci se refuse obstinément à lui, car elle en aime un autre.

Avant de connaître un succès planétaire avec la plébiscitée I am a hero, Kengo Hanazawa avait publié cette mini-série en deux (volumineux) tomes, dans laquelle le mangaka affirmait déjà son style. S’y retrouve la même prédilection pour les anti-héros, losers pathétiques propulsés dans des aventures inattendues, la même critique féroce des mœurs contemporaines, et les mêmes codes graphiques mélangeant hyper-réalisme et caricatures outrancières.

Cet aspect est renforcé par la volonté de différencier la réalité sordide où évolue Takuro du monde fantasmatique peuplé de pulpeuses naïades et d’imberbes jeunes premiers. Le dessinateur n’hésite pas à forcer le trait jusqu’à faire de son personnage principal un type peu ragoutant : celui-ci pète, rote, transpire à grosses gouttes en toutes circonstances, il se bâfre, expectore, vomit, suinte, il n’est qu’un sac d’humeurs pressé de se répandre. Un contraste plutôt violent avec la nature aseptisée du jeu en ligne. Quoique. Petit à petit, l’avatar de Takuro découvre que Unreal n’est guère plus idéal que la société qu’il cherche à fuir, que des assassins y opèrent impunément, que les proxénètes y exploitent des adolescentes, que des révoltes grondent…

En attendant le second volume devant clore ce récit en janvier prochain, Ressentiment offre une histoire saisissante, dissonante, entre un pauvre bougre touchant de balourdise et une charmante intelligence artificielle en quête de réponses.

Moyenne des chroniqueurs
7.0