Un océan d'amour Un Océan d'amour
B
retagne pittoresque. Il fait encore nuit noire lorsqu’il doit sortir du lit. Elle est déjà levée devant son fourneau à préparer une robuste galette pour son petit déjeuner. Pour affronter la mer, le frêle pêcheur doit avoir l’estomac plein. Rituel quotidien pour un couple probablement sans histoire. Pourtant, cette journée ne ressemblera à aucune autre.
Un océan d’amour est une formidable histoire qui ne finit de rebondir qu’une fois venue sa conclusion, lorsque le soleil aura disparu dans l’océan. Empruntant au burlesque le plus échevelé son rythme, ses situations cocasses et son duo homme chétif – maîtresse de maison robuste, Wilfird Lupano (Ma révérence - Delcourt, Les vieux fourneaux - Dargaud)et Grégory Panaccione (Match et Ame perdue – Delcourt) composent un récit muet qui pétille de malice pour inventer des séquences servies par un découpage de haut vol. Les deux complices s’ingénient à créer et mettre en scène des épisodes qui éloigneront, géographiquement, un couple que chacun imagine inséparable depuis le premier jour de leur union. Pour lui, les affres liées aux éléments naturels comme à la négligence et à l’avidité humaine. Pour elle, les angoisses d'une veuve de marin en puissance, les funestes prédictions mais aussi l’obligation de se frotter à un monde qui n’est pas le sien mais dans lequel elle saura se fondre et exister grâce à un naturel et une bonhomie sans faille. Même si l’un des deux coquins de sorts réservés aux époux paraîtra plus convaincant que l’autre, l’alternance des séquences consacrées à chacun d'eux constitue une mécanique hautement efficace.
Jouant gentiment avec nombre de repères et ingrédients incontournables du folklore breton, distribuant quelques coups de griffes à connotation économique et « politique » (qu’est-ce qui n’est pas politique de nos jours ?), invitant la mouette la plus mémorable depuis celle offerte par Franquin à Gaston, Un océan d’amour est, une fois l’action lancée, un tourbillon qui « colle la banane » à son lecteur, le charme autant qu’il le ballote, consentant qu’il est d’un bout à l’autre de ce petit pavé. C’est tellement léger et rythmé que jamais ne vient à l’esprit la notion d’exercice de style ou défi imposé par la conception d’une histoire dépourvue de dialogues sur plus de deux cents pages, preuve indéniable de réussite.
Cette œuvre vivifiante suffira à confirmer que 2014 restera l’année Lupano et permettra de placer sous les projecteurs le savoir-faire indiscutable de Panaccione pour agencer des récits haletants et graphiquement virtuoses tout en restant parfaitement lisibles et accessibles. La dernière page fermée, une évidence surgit : il fallait vraiment que ces deux-là se rencontrent. Un autre projet, vite !
7.7