Retour au Kosovo

La dernière image est une bande dessinée parue il y a deux ans à peine. Réalisée en solo, elle apportait une vision critique du travail des correspondants de guerre à travers le conflit kosovar. Gani Jakupi, résidant espagnol originaire de cette région des balkans, avait été dépêché là-bas à la fin des hostilités pour y faire un reportage et livrait donc, en immersion dans le milieu considéré, son regard sur cette profession. Si son ouvrage était remarquable, l’auteur n’avait peut-être pas tout dit ou, tout du moins, avait-il choisi un angle d’approche qui lui avait permis, consciemment ou non, de contourner ce qui était pour lui l’essentiel.

Pour ce Retour au Kosovo, qui va relever de l’exercice intime, Gani Jakupi a fait le choix de remettre son histoire entre les mains d'un dessinateur capable de donner à ressentir sa perception des choses, capable de laisser le sensitif prendre le pas sur l’analyse. Cauchemars. Le dessin, mélange des excès de Nicolas de Crécy et Ben Telmplesmith, s’accapare l’espace au point d’en être oppressant. Dans la nuit noire, les démons prennent forme, prennent possession de l’esprit de celui qui sait ses parents et son enfance là-bas alors que lui est à Barcelone. Réveil, impuissance occidentale.

C’est Jorge González qui officie aux crayons et pastels gras. Dans la droite ligne de son interprétation fascinante du dernier jour du président chilien Salvador Allende menée à bien pour le premier numéro de La revue dessinée, il livre un travail époustouflant, puissant, conférant du sens à chaque case, à chaque planche, venant systématiquement en appui de la voix off du narrateur. Ce dernier raconte sa confrontation à la réalité post-conflit, difficile à appréhender pour lui qui n’a vécu ce drame qu’à travers ses nuits torturées et ses angoisses. Il raconte la coexistence maintenant impossible entre kosovars et serbes, cela malgré ce graffiti dérisoire aperçu sur un mur de Pristina : « Si nos enfants peuvent être ensemble, pourquoi pas nous ? ». Il raconte aussi la peur dont il ne parvient pas à se débarrasser, résurgence des fantômes de la guerre et de ses atrocités. L’atmosphère est incertaine, pesante, insidieuse, et le lecteur sort de sa lecture bousculé.

Dans la postface de La dernière image, Gani Jakupi citait Jean-Paul Sartre « Un auteur écrit toujours pour que personne ne se considère innocent de ce qui se passe dans le monde » (Qu’est-ce-que la littérature ?).

Moyenne des chroniqueurs
8.3