De mal en pis

De mal en pis est un roman graphique. Cette appellation américaine ( « graphic novel » ) très souvent galvaudée pour faire chic, prend tout son sens avec ce livre.
Déjà, le format, un gros pavé en noir et blanc de 600 pages, avec une couverture souple est très éloigné de l’archétype 48 pages, cartonnée, couleurs de la BD franco-belge. Le format et la maquette sont très importants en bande dessinée, s’ils sont bien choisis le fond en découle bien souvent. Comme un roman, la lecture de ce livre plutôt dense (très éloigné du Blankets de Thomson sur ce point), difficile de parler d’album, se fera le plus souvent en plusieurs fois, pour le plus grand plaisir du lecteur.
La construction du livre s’apparente également à celle du roman contemporain. Nous suivons au quotidien les pérégrinations d’une dizaine de personnages dans le New-York d’aujourd’hui. En vivant la difficile insertion dans le monde des adultes, les petits abandons et les petites lâchetés quotidienne, les victoires aussi, tous évoluent sous nos yeux au fil des pages.
Après une phase d'adaptation d’une cinquantaine de pages pour faire leur connaissance et entrer vraiment dans le livre, à chaque reprise en mains nous aurons le plaisir de retrouver les personnages comme pour une nouvelle rencontre avec des amis proches. L’une des forces de Robinson est l’empathie communicative qu’il éprouve pour ses personnages, même secondaires. Ils sont pourtant très imparfaits, souvent énervants, voire exaspérants, mais toujours sincères et très attachants. Humains pour tout dire.
Mais ce roman est également très graphique et utilise au mieux le langage de la bande dessinée. Si le dessin n’a rien d’immédiatement séduisant (encore une différence avec Blankets ), la narration est toujours impeccable de fluidité et de maîtrise. Et puis il y a ces ruptures de rythme où les personnages s’adressent directement au lecteur. Ces pauses narratives très drôles et jouissives où la vignette occupe toute la planche sont des petites pépites savoureuses. L’ordre de lecture des bulles devient secondaire, l’unité narrative passant du mot ou de la phrase à la planche tout entière.
Sans être une nième autobiographie d’un jeune auteur en mal d’être, Robinson a visiblement mis beaucoup de lui-même dans son livre, en éclatant ses multiples facettes sur chaque personnage. Une bien belle bande dessinée.

Par nexus4

Rackam a peut être commis une erreur avec la couverture. Sherman, le fil de rouge du livre, y est mis en exergue, seul sur fond blanc. Et ses traits font inévitablement penser à Joe Matt. Un feuilletage rapide pourrait alors faire croire qu’il s’agit d’un énième roman autobiographique, narcissique et égocentré, tellement en vogue dans la BD alternative US. Il en est tout autre…

De mal en pis est un sitcom, tel qu’aurait pu le concevoir un Woody Allen trentenaire. Ou Paul Auster. New York est en toile de fond. Les intrigues sentimentales se mêlent et se démêlent. On prend ses marques sur la longueur, on apprend peu à peu à connaître la psychologie des protagonistes et on se laisse porter par le ronron de leurs tracas quotidiens. On les retrouve avec plaisir, jour après jour, et une certaine connivence s’installe entre eux et le lecteur. Mais ce bruit de fond anecdotique n’est qu’un canevas qu’Alex Robinson va modeler pour faire surgir ici et là des moments de vie intenses, des joies, des déceptions, des regrets, des initiations, des souvenirs.

Sur 600 pages, l’auteur prend aussi le temps de s’essayer à des explorations graphiques, des ruptures qui agrémentent et rythment le récit, toujours à bon escient (avec un peu de facilité vers la fin, cependant). En refermant l’album, on a l’impression qu’Alex Robinson a acquis une certaine expertise au fil des pages.

Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, le véritable héros n’est pas celui qu’on croit.

Par Léga

Surfant sur la vague de la BD "chemin de croix initiatique", De mal en pis nous narre la vie pitoyable de Sherman, écrivain contrarié qui gagne sa vie comme vendeur dans une librairie, emploi qu'il abhorre.
Autour de lui gravitent Stephen et Jane, son couple de colocataires, elle semi-hystérique et lui "baba cool" passionné d'histoire américaine, Dorothy, sa petite amie limite névrosée et en tout cas clairement alcoolique et Ed, son meilleur ami, dessinateur de BD traumatisé par sa condition de puceau. Comme on peut le voir, le quotidien de Sherman n'est pas précisément joyeux.

Cet album est une tranche de vie qui n'est pas sans évoquer les BDs de Joe Matt, dans lesquelles un héros un peu loser essaie de se faire passer pour meilleur qu'il n'est, sans comprendre que son entourage l'aime aussi pour ses défauts.

C'est aussi une peinture très réaliste du monde du comic aux Etats-Unis, et un coup de projecteur d'un angle assez inhabituel sur l'Âge d'Or des superhéros américains. A travers l'histoire d'Irving Flavor, employeur d'Ed mais surtout auteur escroqué par son éditeur, on découvre ou redécouvre comment certains auteurs ont cédé, pour des clopinettes, les droits d'exploitation de personnages populaires de BD.

Le personnage de Sherman est touchant de par sa recherche de lui-même, mais il est aussi parfois lassant. Cette obsession de sa propre nullité (la technique dite du serial loser) et sa manière de toujours se noyer dans un verre d'eau sont agaçants à la longue, et certains épisodes par trop répétitifs. L'album, même si plaisant à lire, est donc parfois un peu long. Le manque d'intrigue fait que l'on se lasse par moments, et qu'arrivé à la fin on le repose sans "sursaut" ni déception.

Toutefois, on y a pris du plaisir, et sans être à mon sens un chef d'oeuvre, De mal en pis est un bon album qui touchera probablement différemment ses lecteurs selon leur âge et leur vécu.