La passion de Dodin-Bouffant

A près le décès soudain de sa cuisinière attitrée, un notable de province se met en quête d’une remplaçante pour présider aux destinées de ses fourneaux. Mais quand il s’agit du plus fin gosier de France, la tâche s’avère ardue, tant le bonhomme est précis dans ses injonctions, sévère dans ses jugements, inflexible dans ses décisions. D’ailleurs, seuls trois compères jaugés suffisamment dignes partagent encore le festin hebdomadaire donné par Dodin-Bouffant. Ce dernier finit pourtant par dégoter la perle rare : Adèle Pidou, une fille de ferme aux doigts d’or et aux talents culinaires insoupçonnés. Ensemble, ils se lanceront dans un défi aux répercussions imprévues contre un aristocrate féru de haute gastronomie. Mais entre son altesse, le Prince hériter du royaume d’Eurasie, et sa ventripotence Dodin-Bouffant, Prince des gourmets, l’enjeu dépassera la simple rivalité gourmande.

Librement adapté d’un roman des années 20 - encore célèbre chez les chefs étoilés et les amateurs éclairés -, La passion de Dodin-Bouffant entraîne le lecteur dans la France du Second Empire, alors que triomphait cette grande cuisine bourgeoise qui allait régner sur les papilles hexagonales encore un siècle durant. Une cuisine riche, abondante, enracinée dans les terroirs, privilégiant la qualité des ingrédients, le savoir-faire… en un mot, comme le rappelle ici le héros, tout cela est avant tout affaire d’amour. Alors défilent au gré des pages les lapereaux au foie-gras, les ortolans dodus, les morilles au Château-Chalon, les rôties à la moelle, les farces les plus fines, les veloutés les plus rares, les vins les plus capiteux, jusqu’au fameux pot-au-feu si prodigieusement imposant concocté par l’homme de l’art. Et bien ascète sera celui qui ne salivera devant les représentations pleines de fantaisies des mets servies par Mathieu Burniat tout au long des divers chapitres.

Mais plus loin que l’hommage tendre et amusé aux amoureux de la bonne chère, l’ouvrage dresse les portraits tout en nuances de ce passionné un brin misanthrope et de cette servante si peu accorte dont l’emprise s’étend bien au-delà des fourneaux. Tracés d’une plume fine et ondoyante, les protagonistes évoquent indubitablement les caricatures d’époque, les notabilités croquées par Daumier, André Gill, avec ces ombres finement hachurées d’une encre délicate, et ces trognes hautement expressives. Les paysages du Jura sont également joliment rendus par quelques beaux panoramas.

Pétrie d’humour, imprégnée de tendresse, nappée de jubilation, cette passion de Dodin-Bouffant se révèle être bien plus qu’une ode épicurienne à offrir à un bon vivant de son entourage.

Moyenne des chroniqueurs
7.0