Love in Vain

“Early this mornin’
When you knocked upon my door
Early this mornin’
Ooh, when you knocked upon my door
And I said
Hello, Satan, I believe it’s time to go”


Comme les deux tiers des bluesmen du Mississippi en ces rudes années trente, Robert Johnson prétendait avoir pactisé avec le diable en échange de ses dons d’instrumentiste. Mais, enfant difficile ballotté entre père et mère, puis veuf prématuré de son amour morte en couche, il n’a pas vingt ans que déjà il a connu plus que son lot d’épreuves. Et Dieu sait combien une âme tourmentée est une proie facile pour le Malin. Bon, plus prosaïquement, c’est auprès de fins musiciens du Delta qu’il a peaufiné son art, devenant rapidement un guitariste virtuose, faisant la tournée des juke joints et autres bouges infâmes où prospérait alors le Blues. S’en suit une existence aussi brève qu’erratique, faite de femmes, d’alcool, de femmes, de jeu, de musique et encore de femmes.

Figure archétypale de l’artiste maudit consumant sa vie avec une frénésie morbide, Robert Johnson est devenu légendaire par l’héritage qu’il a laissé, de Clapton à Dylan en passant par les Rolling Stones. Qui dit légende dit souvent biographie hasardeuse, entre hagiographie romancée et scènes enjolivées. Mais ici, les auteurs n’ont gardé que les faits avérés, s’interdisant de combler les lacunes quant au parcours du héros. Le recours à une narration en voix off permet ainsi de lier efficacement les séquences, sans heurt ni ellipse inopportune. Et ce, en évitant toute lourdeur excessive, grâce au texte trouvant un juste équilibre entre les tournures littéraires d’un écrit et la simplicité naturelle d’une confidence. Tout au plus est-il permis de déplorer l’ultime commentaire, aussi appuyé qu’inutile.

Reste que, pour le profane, l’intérêt premier du livre réside dans le trait saisissant de Mezzo. Respectant les codes graphiques de l’underground américain – Crumb, Burns –, empruntant les techniques d’encrage des maîtres du pulp – Jack Davis, John Severin – la mise en images éblouit par sa force, sa rigueur, son expressivité. Gros plans audacieux, illustrations pleines pages regorgeant de détails, découpage savamment rythmé, le plus remarquable demeure pourtant l’impression de vie, de mouvement insufflés par le pinceau d’ordinaire si sévère de l’artiste.

Deux précisions encore : le papier ivoirin de cette très soignée édition à l’italienne confère aux noirs mats et profonds du dessin un rendu proche de la gravure très approprié. Puis un cahier final d’une quinzaine de pages présente quelques textes de chansons de Robert Johnson, illustrés de fusains, complétant agréablement l’album.

Moyenne des chroniqueurs
7.0