Le cycle de Cyann 6. Les aubes douces d'Aldalarann

L orsqu’en 1993 les lecteurs découvrirent La sOurce et la sOnde, premier volet du cycle de Cyann, peu se doutaient qu’il leur faudrait patienter plus de vingt ans pour connaître le fin mot de l’histoire. Mais ce dont ils eurent d’emblée la certitude, c’est d’avoir entre les mains une œuvre hors du commun, un de ces albums fondateurs, marquants, incontournables quand il s’agit de baliser le genre. Jamais la science-fiction n’avait été déclinée ainsi en bande dessinée, un univers aussi foisonnant, cohérent, densément orné, aussi soigneusement pensé et pourtant tellement extravagant, c’était proprement inédit. Et Six saisons sur ilO plus tard, en enrichissant encore le monde de Cyann tout en donnant une profondeur insoupçonnée au personnage, le deuxième tome allait définitivement placer ce diptyque inaugural au panthéon du 9e Art.

Six albums et quatre éditeurs passés, que reste-t-il du mythe créé par Lacroix et Bourgeon ? D’abord, un conseil précieux : il est impératif de relire toute la série pour savourer à leur juste mesure ces douces aubes d’Aldalarann. Et un préambule libérateur : oui, cet opus final répond à toutes les questions en suspens et clôt tous les fils narratifs, même les plus ténus, tissés au cours des longues années de tribulations de l’héroïne. Alors certes, d’aucuns se sont émus que depuis un, deux – voire trois tomes pour les plus sévères –, la magie se soit estompée, que le charme n’opère plus autant. Mais l’aura de l’auteur est suffisante pour que le public réponde présent néanmoins. Et quoi qu’en disent les esprits chagrins, un Bourgeon, même minO, reste cent coudées au-dessus du tout venant de la production ordinaire. Au cours des ans, le trait du dessinateur s’est simplifié, allégé, les détails se sont estompés, mais ce lent processus est tempéré par une colorisation demeurée uniforme et le travail constant sur les ombres, cet encrage à base d’entrelacs pointillistes si particulier.

Le cycle de Cyann, c’est d’abord l'exploration de planètes incomparablement dépaysantes : Olh la luxuriante à la société fortement hiérarchisée, traversée de luttes de pouvoir entre aristocratie et clergé ; ilO et son écosystème si varié, ses rebelles, ses exploiteurs, ses esclaves ; la parenthèse oppressante d’Aldaal, cette fuite échevelée devant l’hiver ; puis Marcade l’industrieuse, ultra-monétarisée, déshumanisée. Les couloirs de l’entretemps rompait avec cette dynamique, en précipitant la jolie majO – désormais bien loin de la froide et impudente écervelée des débuts – dans une folle course à travers le temps et l’espace en quête de réponses sur son passé et d’espoir pour son futur. Enfin, ce dernier recueil renoue élégamment avec les principes cardinaux de la série en proposant une ultime découverte : astre lointain, sauvage, ignoré mais attachant, suave et redoutable, Aldalarann marque l’aboutissement des mésaventures de Cyann. Une fin qui sonne comme un accomplissement, une plénitude insoupçonnable, un apaisement mérité qui déborde sur le lecteur… un au revoir serein mais chargé d’émotion après deux décennies de complicité avec celle qui restera comme l’une des plus fortes personnalités du genre.

Moyenne des chroniqueurs
7.3