Amère Russie 1. Les Amazones de Bassaïev
F
ichu et bonnet sur la tête, parka sur le dos, genre de Moon boots aux pieds, quand elle découvre que son fils est prisonnier en Tchétchénie, sa décision est prise : elle ira le retrouver. Quel qu’en soit le coût, elle n’a pas grand-chose à perdre de toute façon. Servir la propagande de l’un ou l’autre des belligérants est bien la dernière de ses préoccupations…
Amère Russie est une totale réussite. Dans l’épopée (n’ayons pas peur des mots) vécue par cette femme, la surprise est permanente et celui qui prétend savoir quelle direction ce petit bout de mère va emprunter est bien malin (ou d’une certaine mauvaise foi). Le voyage est long, peuplé de rencontres qu’en temps ordinaires chacun ferait tout pour éviter, jalonné de trahisons, de ruses ou de complicités inéluctables. Des dangers, armés, russes ou tchétchènes, rôdent aussi. Et parfois, celle que les auteurs n’ont pas cru bon de nommer, se retrouve au milieu de… rien. Sinon de vastes étendues enneigées, ou d’endroits apparemment déserts qui dissimulent des ennemis ou des soutiens, invisibles au premier coup d’œil : mamans, enfants, « collants blancs » (ou les amazones de Bassaïev du titre, ces snipers auxquelles un cahier est consacré en fin d’album).
Si la peur ou la crainte viennent parfois jusqu'à toucher le lecteur, si le danger est si prégnant, si les cités paraissent soit abandonnées soit surpeuplées, si le sourire vient aux lèvres devant un comportement d'une grande naïveté ou s’il naît de situations trop tragiques pour être ressenties au premier degré, c’est aussi grâce à la mise en images éblouissante d’Anlor. Tant du fait du dessin que de la couleur, d'une variété remarquables, la dessinatrice donne le sentiment de parcourir un album dix fois plus dense qu’un livre ordinaire qui se déploie sur la même pagination.
Suite et fin de ce récit né de la lecture d’un article de presse, ce qui n'implique ni parti-pris pesant, ni ton pédant. Et chaque lecteur pressent qu’il n’est pas au bout de ses émotions. Un essentiel de 2014.
7.7
