Zombies Néchronologies 1. Les Misérables

D es collaborateurs de l’Élysée qui s’apprêtent à faire leurs cartons, c’est chose assez courante, notamment, lors d’un remaniement ministériel. Mais ça l’est beaucoup moins lorsque des hordes de zombies se bousculent pour investir le « Château » et croquer du fonctionnaire et de l’énarque plutôt que de s’attacher à conquérir un éventuel maroquin encore disponible (amoureux de l’orthographe, évitons les fautes de frappe qui pourraient engendrer une confusion politiquement incorrecte). Selon le Président, Paris est perdue et, à part quelques garants de la survivance de l’État, chacun peut reprendre sa liberté. Charles, garde du corps des quatre derniers présidents de la Vème république, choisit de rejoindre son épouse à Genève. Benardi entend bien l’accompagner, une précieuse mallette en main. Jusqu’à la cité suisse, les rencontres, les surprises et les dangers seront multiples…

Vous reprendrez bien une bonne louche de zombies et autres contaminés ? D’accord, entre les victimes de pandémies, les morts-vivants et autres accros de la chair encore fraîche, la saturation est proche, voire déjà atteinte. Pour courir le risque d’en oublier parmi les plus récents, combien de Walking dead convaincants (comics et série TV) pour un poussif et hollywoodien World War Z, pour un anesthésiant et sud-coréen Pandémies ou encore une conspiration essoufflée à force de parcourir des couloirs sans fin et Syfy-esque (donc fauchée) ?

Heureusement, du côté de la BD franco-belge, un titre se détache et ce nouveau spin-off de la série Zombies (Soleil) en apporte la preuve. Avec ce premier segment de la branche Néchrologies, Olivier Péru apporte la démonstration qu’il est toujours possible de raconter, à l’instar de Robert Kirkman avec sa troupe qui tentent d’échapper à ses célèbres « marcheurs », des histoires d’hommes avant de mettre en scène des dépeçages à vous tirer des hauts le cœur. Mieux encore, le scénariste profite du décor et des acteurs politiques de ce tome pour jouer la carte de la dérision et pour brocarder ceux qui sont, les plus naïfs peuvent le regretter, loin d’être des hommes providentiels.

En ouverture, les premières figures de la nation élues depuis 1981 ont droit à leur petit coup de griffes amusant via la voix de celui qui dans le récit les aura approché de plus près : Mitterrand « intelligence hors du commun (…) mais une âme nauséabonde », Chirac « en avait rien à foutre de rien (…) », Sarkozy « (…) narcissique, imprévisible et contradictoire (…) faisait de la politique pour la télé ». Et le dernier, direz-vous ? Celui qui a le privilège de gérer cette crise sans précédent (non, il ne s’agit pas d’inverser la courbe du chômage avec le succès que chacun connaît cette fois). Dévoiler son comportement d’homme d’État, sa réaction typiquement procédurière lorsqu’il est menacé de destitution ou son attitude générale respectueuse à l’égard de ses concitoyens ne serait pas seulement spoiler mais aussi priver les lecteurs de quelques moments hautement croustillants dans un contexte ô combien dramatique. Le chantre du consensus, du flou et du calcul électoral (combien de sièges pour qui pour que chacun soit content ?) connaîtra une fin tragique et hilarante (inoubliable réplique de la page 44). Le scénariste se fend même d’une explication de texte pour différencier l’anarchie de l’anomie qui pourra opérer comme un clin d’œil aux anciens dégarnis des Vieux fournaux créés par Wilfrid Lupano qui ont fait récemment notre joie. Le contexte actuel, les déceptions, l’absence de résultats tangibles liés à l’application de décisions inadaptées et / ou mal expliquées donneraient-ils un regain d’intérêt à quelques formes de mouvements libertaires ?

Que les amateurs de gore et de suspense se rassurent, Les misérables n’est pas une tirade de chansonnier, illustré par Nicolas Petrimaux, le quota d’actions-chocs est bien respecté. Le caractère nihiliste qui surgit derrière les espoirs déçus inhérent au genre aussi. Mais à l’image d’un George Romero et de son « radotage » anti-militariste qui émaille sa demi-douzaine de films consacrés à ceux qui ne trouvent plus de place en Enfer, ce nouveau Zombies contient d’autres arguments qui en font plus qu’une succession d’actes sanglants et désespérés. L’album de la confirmation pour Olivier Péru, honorable artisan du « genre » s’il en est ?

Moyenne des chroniqueurs
7.0