Erased 1. Volume 1

L a trentaine approche et Satoru Fujinuma n'a toujours pas réussi à faire éditer son premier manga. Le refus des éditeurs ne s'appuie pas sur un manque de savoir-faire, mais les reproches portent sur un manque de personnalité de l'auteur qui prive son œuvre d'une épaisseur qui lui permettrait de sortir du tout-venant. Pour survivre et ne pas être dépendant d'une mère un rien envahissante, il occupe un job de livreur de pizza à mi-temps pour pouvoir continuer à écrire et dessiner. Pourtant, enfant, Satoru avait vécu une expérience traumatisante pour les jeunes de sa génération, des écoliers ayant été kidnappés par un détraqué arrêté quelques temps plus tard. Mais le pré-adolescent avait alors tout fait pour effacer ces souvenirs. Un matin, il se découvre la faculté de revivre une courte scène, préalable à un drame ordinaire : s'il traverse la rue à l'instant t, un garçonnet va se faire percuter par un poids lourd. Rien ne le laisse présager, mais pour le porteur de pizzas, les instants qui précèdent sont « rembobinés » jusqu'à ce qu'il comprenne comment sauver l'écolier. Une scène analogue se produira un peu plus tard selon le même processus : on lui repasse la même séquence jusqu'à ce qu'il décèle le détail crucial qui va lui permettre de changer le cours tragique des choses. Bien entendu, tout ceci n'est pas sans lien avec l'amnésie qu'il s'est naguère imposée et qui se délite suite à un choc survenu dans son rôle de sauveteur : et si le mystère des rapts d'enfants n'avaient pas été résolu ? Et si l'asocial Satoru détenait les clés pour y remédier et éviter que ces actes se reproduisent ?

Comme l'atteste ce copieux résumé, l'idée à la base d'Erased est dense, sinon fournie. Les personnages ne brillent pas par une originalité débridée (l'auteur solitaire souffrant d'un choc post-traumatique, sa mère qu'on jurerait être sa grande sœur tant son physique est avantageux et qui étouffe son rejeton, la collègue lycéenne amoureuse du mangaka sans succès, les gosses qui se retrouvent dans des repaires secrets et désaffectés, le pervers tapi dans l'ombre prêt aux pires atrocités), mais l'ensemble est bien agencé malgré un rythme un peu poussif. Le héros n'est pas téméraire ni victime affligée de la vie, certains maux traditionnels de la société japonaise sont abordés sans pathos (difficulté de communiquer, renfermement sur soi), et l'intrigue s'offre un regain d'intérêt lorsque la mère se voit offrir un rôle inattendu.

Outre le fait qu'il semble avoir levé le pied sur le côté très sanglant qui marquait ses œuvres précédentes (le survival insulaire de L'île de Hozuki et les cohortes de zombies du Berceau des Esprits),Kei Sanbe peut avoir une jolie carte à jouer avec Erased en misant sur la capacité de son personnage principal à tirer parti de l'espace-temps pour jouer les redresseurs de torts efficaces, sans tapage superflu et en ne négligeant pas un côté nostalgique envers une époque idéalisée. Ne pas oublier cependant une petite dose de pep's qui fait défaut pour le moment pour vraiment emporter l'adhésion.

Moyenne des chroniqueurs
6.0