Reversible man 1. Volume 1

T otalement barré. C’est le commentaire qui revient à plusieurs reprises à la lecture de ce premier volet de Reversible Man. Se résoudre à paraphraser ce qui s’y passe ou à faire l’inventaire des traits de caractère des personnages et de leurs actes revient à courir le risque d’éloigner tout un pan de lecteurs potentiels, sachant qu’une mention « Réservé à un public averti », justifiée, et la vision de quelques planches en aura fait fuir un bon nombre. Tentons quand même le coup, car Nakatani D. distille une histoire qui tient en haleine riche en aspects délirants et volontiers démonstratifs.

Les rumeurs et les commentaires se répandent en ville au sujet des corps retournés comme de vulgaires vêtements et ils viendraient grossir les légendes urbaines si les faits n’étaient pas authentiques. Certaines victimes survivent, d’autres non, les premières s’adonnant souvent à l’accomplissement forcené de leurs désirs les plus sauvages. Malgré des motivations différentes, leurs chemins se croisant, une lycéenne à la recherche de ce qui arrivé à sa sœur et un yakuza inquiet pour l’évolution de son fonds de commerce s’associent pour remonter aux origines de ce mystère en marge des investigations de la police…

D’emblée, l'auteur ne recule pas devant les excès pour bousculer leurs lecteurs, et l’entrée en matière ajoute une louche de tirades à caractère pornographique (comme on dit en société) à quelques images gore. Le ton est rapidement donné et, comme dans tout bon récit d’horreur ne se contentant pas d’étaler de la tripaille à tout va, le scénariste en profite pour évoquer des agissements qui ne sont pas l’apanage des équarrisseurs habituels propres au genre. Les pressions carriéristes imposées par certains parents qui n’hésitent pas à humilier une progéniture qui déçoit leurs ambitions sont ainsi lourdement dénoncées. Les « retournés » ne sont pas seulement victimes d’ulcère lorsque le stress devient trop important, ils subissent des mutations inouïes, au point que leurs membres rentrent littéralement dans leurs corps. Et je passe sur le fait qu'une frêle jeune femme se mue lorsque nécessaire en holster humain pour gros calibres...

Mais le conteur n’en reste pas au niveau d’un pensum qui, faute de justifier leurs actes, les mettrait sur le compte d’un traumatisme causé par les comportements de parents irresponsables. Il verse également dans un humour noir, gras, et il faut bien avouer qu’il y a autant matière à sourire qu’à être dégoûté tant il manie le « too much » avec allégresse. Outre l’association de la carpe et du lapin évoquée précédemment, le fait que les créatures réversibles se caractérisent par des ongles retournés qui leur donnent un air de David Vincent version dégénéré amuse (le fait qu’ils puissent reprendre leur apparence initiale, lui, fait grimacer...). Le détournement du mythe de la Tour de Babel et du châtiment divin, mâtiné de darwinisme et livré par l'un des nombreux jusqu'au-boutistes du lot illustre quant à lui les délires de quelques gourous modernes. Côté action, un Van Helsing en costume, assailli par des hordes de zombies (ils en manquaient dans le paysage...) tente de délivrer un bâtiment façon The raid de Gareth Evans et de soulager la société d'un pseudo-toubib pervers.

Tous ces éléments donnent au récit un ton tout à tour relativement grave ou franchement potache. S’il n’y avait, façon fac-similé, un rapport d’enquête sur les « retournés », livré au milieu des planches avec le souci manifeste de lui donner un caractère authentique (clichés photographiques à l’appui), la distance de l'auteur avec le fruit de son imagination n’aurait pas fait de doute.

Copieux, illustrant certaines peurs et quelques fantasmes contemporains, flirtant avec le voyeurisme et le défoulement facile, mais bien mené malgré la tentation manifeste d’aborder de très nombreux sujets au fil des pages, solide graphiquement, le premier volume de Reversible Man dispose d’arguments chocs. De quoi se demander ce que réservent les deux prochains volumes…

Moyenne des chroniqueurs
7.0