Northlanders (Urban comics) 1. Le livre anglo-saxon

V iking ! Un nom qui enflamme l’imagination des artistes depuis toujours : par leurs mœurs impitoyables, leurs conquêtes foudroyantes, leur mythologie flamboyante et romantique… Imagination d’autant plus débridée que la réalité historique derrière l’imagerie populaire demeure largement méconnue, ouvrant souvent la voie aux interprétations les plus fantaisistes. Publiés entre 2008 et 2012, les cinquante numéros de Northlanders ambitionnaient de donner aux lecteurs un cadre un peu plus rigoureux aux aventures de ces héros nordiques. L’objectif était, surtout, en étalant sur plusieurs siècles et plusieurs aires géographiques les différents arcs narratifs composant l’ensemble, d’offrir l’aperçu le plus vaste possible de leur épopée.

Cette rigueur documentaire est cependant parfois mise à mal par l’autre souci constant de Brian Wood : ancrer ses textes dans notre modernité en utilisant un langage résolument contemporain, pour traiter des sujets faisant écho aux préoccupations actuelles. Identité culturelle, place de la femme, bouleversements sociétaux, emprise de la religion… autant de thèmes, récurrents chez le scénariste, qui trouvent ici un contexte archaïque fertile et inattendu pour s’épanouir. En accord avec l’auteur, Urban Comics va publier en trois volumes l’intégralité des quatorze récits constituant cette œuvre d’envergure, regroupés par sphères régionales, puis organisés par ordre chronologique au sein de chaque tome.

Ce premier livre s’attache aux incursions britanniques des Nordmen, s’amorçant sur le sac du monastère de Lindisfarne en 793. L’exaltation religieuse d’un père, la quête d’identité d’un fils... Dès l’ouverture, la profondeur des sentiments agitant les protagonistes dépasse la simple rage sanguinaire de l’épisode. S’ensuit une sombre allégorie, transcendée par le style violemment contrasté de Zezelj, qui met en scène un trio de veuves pugnaces cloîtrées dans une forteresse, résistant désespérément aux attaques désordonnées d’une meute d’assaillants saxons. Le troisième arc, pièce maîtresse de cette compilation, fut préalablement publié en 2011 chez Panini. Sven, héritier d’un chef de clan des îles Orcades, y revient, après des années passées à Constantinople au sein de la garde Varègue, pour affronter son oncle l’ayant dépossédé. Entre sens de l’honneur et nihilisme, désir de quiétude et folie meurtrière, un portrait intense et complexe émerge peu à peu. Le trait puissant, anguleux et gras de Davide Gianfelice, accompagné des couleurs profondes de Dave McCaig, font merveille pour transcrire ce long combat solitaire.

Le dernier tableau se déroule en Irlande au printemps 1014, lors du conflit opposant Brian Boru au roi scandinave de Dublin, Sigtrygg Silkbeard, devant culminer par la célèbre bataille de Clontarf. Un partisan irlandais commet massacres sur massacres contre l’occupant viking, sombrant peu à peu dans le fanatisme chrétien le plus aveuglant, mais déjouant sans cesse l’enquêteur tenace qui le traque sans relâche. En compagnie de son complice habituel Ryan Kelly, Brian Wood livre ici un thriller médiéval particulièrement riche et prenant. L’encrage dense et rageur du dessinateur souligne pleinement l’expressivité des visages et magnifie les paysages de la verte Érin.

En alliant trame historique captivante et multiplicité des angles de vue, en prenant soin de trouver une résonance moderne à ces lointains hauts-faits, le créateur réussit brillamment son pari de réaliser une fresque globale et ambitieuse, rendant justice à l’aventureuse saga de ces Hommes du Nord. Cerises éditoriales sur un gâteau déjà fort appétissant : les superbes illustrations de couverture de Massimo Carnevale, toutes reproduites ici.

Moyenne des chroniqueurs
7.8