La cicatrice (Rochier) La Cicatrice

D enis donne le sentiment de mener une existence plutôt paisible : la trentaine, une vie de couple normale, pas encore de beaux enfants, mais des beaux-parents à dîner ; il est cadre. Cadre moyen, dans une entreprise moyenne. Un contrat important en cours de finalisation, la pression qui monte chez ses collègues, pas chez lui, à tel point qu’elle semble même lui glisser dessus. Au moins deux raisons à cela : d’une part, ça ne semble pas dans ses habitudes de douter, d’autre part, il est perturbé par tout autre chose… Une cicatrice.

Auteur ancré dans le concret (TMLP), Gilles Rochier emprunte ici le chemin de L’inquiétante étrangeté de Freud, sans sortir du réel, comme l’a fait Charles Burns avec les mutations corporelles et collectives de Black Hole. La cicatrice est individuelle et s’impose à Denis tel le grain de sable dans une mécanique bien huilée : elle dérègle de l’intérieur, déstabilise et, peut-être, révèle. Sa perception des choses s’altère, son comportement n’est plus nécessairement approprié, il inquiète.

Une voix : Denis ! Denis !!!?
Lui : Hein… Oui.
La voix : Ça va ? Tu as l’air ailleurs.
Lui : … Non. Juste un peu fatigué.

Comment expliquer l’inexplicable ? Tout s’accélère, se brouille (sensation particulièrement bien rendue, tant par le jeu des phylactères qui se bousculent dans certaines cases que dans la vidéo de présentation de l’album). Le besoin de comprendre ce qui lui arrive vire au désordre et à l’obsession. Prémisses d'une dérive absurde et solitaire qui peut évoquer, par certains aspects, ce que racontent Gérard Garouste (avec Judith Perrignon) dans L’intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou ou Delphine de Vigan dans Rien ne s'oppose à la nuit.

Ce beau livre, édité par la maison d’édition 6 pieds sous terre dans la collection Monotrème, peut déconcerter par son côté abrupt, en ce sens que le coup de fusil est déjà parti alors que le contexte n’est pas encore posé. Par ce procédé, Gilles Rochier initie un processus à l’issue incertaine, avec une trajectoire et des clés à saisir au vol comme seules indications d’itinéraire. Au lecteur de s’approprier le récit.



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Moyenne des chroniqueurs
7.0