Kaarib 3. Pièces de huit

S ituées au large des côtes de Cuba, les Caraïbes sont, depuis trop longtemps à son goût, le dernier joyau convoité par la Couronne Britannique. Reposant au fond des eaux, trois angles d'un même triangle attendent d'être réunis, de libérer à nouveau leur pouvoir incommensurable. Outre les officiers de Sa Majesté, le trésor a su drainer derrière ses énigmes bon nombre d'aventuriers.

Parmi eux, le Davy John Locker. Composé de trois agents aux compétences bien distinctes, le DJL cherchera par tous les moyens à mettre hors de portée de la Couronne le dernier angle du Triangle, ancien artefact atlante. A la solde du mythique et inquiétant Barbe Noire, Lorne, lord déchu de son état, Sarah l'Atlante et Fido l'immortel se heurteront aux appétences féroces des Cannibales, secte masquée de bois, luttant pour l'autonomie des Caraïbes. Tant de partis aveuglés par un si grand pouvoir. Et si tout ceci n'était qu'illusion ?

Si Kaarib n'est pas une série d'un accès très évident, elle a l'avantage, pour qui s'en donnera la peine, d'ouvrir au lecteur de nouveaux horizons. Rien de moins. Calvo et Krassinky livrent avec Pièce de huit la conclusion d'une trilogie singulière. Revisitant avec intelligence le mythe de la caverne de Platon, Calvo nous plonge dès les premières pages dans un troublant bouillon d'hypothèses. En premier lieu, qui est cet homme échappé d'une grotte, hagard, dont la lumière du soleil brûlera les yeux ? Que sont les pièces que retrouveront les enquêteurs de la Couronne sur son cadavre ? Pourquoi Lorne devra-t-il payer de sa vie une traîtrise non avérée ? Quels sont les projets du mystérieux Barbe Noire ? Pourquoi semble-t-il redouter à ce point les véleités de Fido, qu'il considère pourtant comme son fils ? Le procédé du scénariste est ingénieux. Perdre son lecteur dans un imbriquement de pistes pour lui cacher l'essentiel. Habile à manier le mythe, on se rend compte que Calvo, lui-même, agite devant nos yeux les ombres portées de ses pantins, tout en nous préservant de l'éclatante réalité de Kaarib.

Plus qu'un récit exotique, imbibé de rhum autant que de fantastique, Kaarib est avant tout le phantasme d'une histoire que l'on aurait aimé apprendre dans les manuels. Entre mythologie grecque, descendants atlantes, bijoux technologiques et impérialisme historique, Calvo s'improvise professeur et nous initie aux secrets d'entités fantastiques, pratiquant à la lumière des torches, sous l'épaisse végétation de leur mangrove, des rites qu'il m'est interdit d'évoquer plus avant. Le charme opère, même si l'on n'est pas certain de saisir la totalité des évènements... C'est sans doute là la force d'une telle série: donner au lecteur suffisament d'éléments pour le captiver et lui laisser l'impression d'une richesse latente, impossible à appréhender en une fois et qui attendra sans mal une prochaine relecture.

Le dessin de Krassinky insuffle aux pantins de Calvo le relief et la vie que le seul synopsis, aussi ingénieux soit-il, n'aurait su leur conférer.. Rictus en coin, positions lassives, corps déchiquetés, le trait semble ne pas pouvoir rencontrer d'obstacles. La finesse des expressions, et l'économie de traits, confesse l'intention du dessinateur d'aller à l'essentiel. C'est ce même soucis d'efficacité que l'on retrouve dans le découpage ingénieux des planches. Les décors échappent, à notre grand plaisir, à cette économie de détails et fournissent aux évènement un théâtre dans lequel on aimerait bien évoluer, à ses risques et périls.

La mise en couleur baigne l'ensemble d'éclairages que l'on devine propres aux Caraïbes et appuie l'intensité du récit. Le dernier mouvement de l'album, dans une quasi-obscurité, est un pari technique que Claire Champion relève avec virtuosité.

Si la lecture des Palmiers Noirs, second tome de la série, vous était apparue obscure et inutilement alambiquée, la conclusion de cet album vous permettra de mettre les évènements passés en perspective et donnera à l'ensemble une cohérence jusqu'ici difficilement soupçonnable. Sans doute faut-il y voir une autre force de Kaarib.

Moyenne des chroniqueurs
7.5