Neonomicon

U ne quinzaine de meurtres au modus operandi identiques et pas moins de trois coupables différents, voilà qui n’est pas banal, y compris pour Aldo Sax, limier dépêché à New York par le FBI pour enquêter sur les derniers faits. Au besoin, il appliquera sa « théorie des anomalies » car il ne faut pas croire que le fait de découper d’innocentes victimes encore vivantes en monstrueuses fleurs de chair et de sang soit considéré comme très normal, non. C’est en considérant l’invraisemblance du profil des tueurs que Sax est conduit sur la piste du Club Zothique, un repaire de musiciens underground. Son intuition se révèlera funeste pour le détective fédéral. Quelques mois plus tard, les agents Gordon Lamper et Merril Brears débarquent à leur tour sur les lieux, avant de remonter la piste macabre jusqu'à la ville côtière de Salem et son morbide cercle de zélateurs de Dagon.

Véritable hommage à l’œuvre d’H.P. Lovecraft, le Neonomicon brasse des thèmes chers au cultissime romancier de Providence : la fragilité et l’insignifiance humaine en regard des Grands Anciens, l’immanence des mythes. L'auteur partage également son attirance malsaine pour la froide perversité des créatures effroyables du Panthéon lovecraftien. La ségrégation raciale fantasmée par l’écrivain semble également largement répandue dans la société sordide dépeinte par Alan Moore. Celui-ci prend en revanche le contrepied de l’auteur du Cauchemar d’Innsmouth – la nouvelle dont s’inspire partiellement ce Neonomicon – lorsqu’il s’agit de traiter explicitement de sexualité : là où tout n’était qu’allusions lointaines aux mœurs turpides des adeptes, Moore expose complaisamment de fangeuses scènes orgiaques et de monstrueux accouplements.

Ayant démontré avec Crossed combien il était à l’aise dans la représentation de l’abject et de l’ignominieux, Jacen Burrows met son trait net, précis, presque rigide, au service de cette histoire horrifique. Le parti-pris graphique de ne recourir qu’à de larges vignettes horizontales, s’il est très réussi sur le plan esthétique et s’il donne un tempo captivant à l’intrigue, confère cependant un côté particulièrement figé aux scènes de dialogues. Le traitement en longues bandes verticales de The Courtyard – la préquelle écrite par Moore puis adaptée par A. Johnston qui sert d'introduction –, imprime a contrario un dynamisme renforcé par le recours répété aux champs / contre-champs et autres vues plongeantes. La colorisation subtile et nuancée de l’argentin Juanmar achève de conforter l’ambiance glauque de ce recueil avec sa superbe panoplie de verdâtres méphitiques.

Une œuvre certes mineure dans la bibliographie d’Alan Moore, mais suffisamment personnelle pour complaire à ses fans, et suffisamment hagiographique pour flatter ceux de Lovecraft.

Moyenne des chroniqueurs
6.0