L'amour ferme les yeux

L ’impression de pénétrer dans un passé qui n’est pas celui des siens, mais aussi, parfois, de parcourir l’album photo d’une famille qui n’est pas la sienne ; deux sensations qui saisissent dès les premières planches, notamment du fait de l’utilisation de la technique de la carte à gratter et de son rendu désuet en ces planches.

Raconter son histoire, ou plutôt celle des siens, c’est ce que fait Line Hoven dans cette bande dessinée qui s’ouvre, d’un côté, dans une Allemagne où le nazisme s’impose et, de l’autre, aux États-Unis où le président Roosevelt prépare son peuple à entrer en guerre. De part et d’autre de l’Atlantique, deux couples se forment, ils auront des enfants, dont une fille et un garçon qui se rencontreront et auront à leur tour une petite fille : la narratrice. Le dessin confère une ambiance sombre et pesante au récit, aussi marqué par l’aspect fantomatique des personnages, comme figés dans des clichés d’un autre temps.

Chaque génération semble hantée par celle qui l’a précédée. Les pièces manquantes du puzzle familial sont parfois signifiées par l’auteure qui, sans doute elle-même, ne les détient pas toutes. C’est dans cette reconstitution, même partielle, qu’aurait pu - pour ne pas dire dû - se trouver l’attrait de L’amour ferme les yeux ; elle n’est cependant guère réalisable. Les cinq tranches de vies rapportées dans ces pages, si elles fonctionnent individuellement et ensemble, n'en apparaissent pas moins comme autant d’ébauches inabouties qui ne permettent pas d’aller au-delà de la surface des choses. Si la lecture est gênée par la difficulté de distinguer les protagonistes, ainsi que les lieux et les époques, du fait d'une très forte unité graphique, ce sont surtout les vides qui empêchent d’accéder à l’âme de ce livre.

De fait, le sentiment de rester à la porte prédomine, comme si Line Hoven avait omis de délivrer certaines clés qui eussent été nécessaires à donner du sens et de la profondeur à L’amour ferme les yeux. C’est d’autant plus dommage que son blog laisse à penser qu’elle peut emmener son lecteur bien plus loin, tout du moins par son trait.

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