Bob Marone 3. Un parfum de yétis roses
L
e fameux Commandant Marone, fidèle à lui-même, a décidé de partir à la conquête du KK2 SHI1, sommet inviolé du flanc sud de l’Everest. Accompagné de son dévoué ami Bill Gallantine, il tente sa chance et se lance dans l’ascension, du pied gauche bien sûr. Il ne se doute pas que cette expédition le mettra sur la trace de son ennemi ancestral, l’immonde Ombre Mauve. Préparez-vous, car face au vent, contre tout guerrier et contre tout chacal, l'aventurier non solitaire est toujours le roi de la Terre.
C’est en 1981 que naissent Bob Marone et Bill Gallantine, déclinaison parodique et homosexuelle du célèbre héros d’Henri Vernes. Yann et Conrad leur donnent vie au travers de deux récits insérés dans leurs Hauts de Page du Journal de Spirou : Les bonbons de l’Ombre Mauve et Les gâcheurs de Dinosaures (respectivement n°2255 et n°2267 du journal). Virés quelques temps après de chez Dupuis, et après avoir essuyé un refus cinglant de la part de Jacques Diament chez Fluide Glacial, ils trouveront asile, par l’entremise de Jean Léturgie, chez Glénat. C’est au sein de son magazine Circus que les deux personnages ami-ami feront leur retour pour deux aventures, Le Dinosaure Blanc et L’affrontement (Circus 65 à 69 et 78 à 79) qui paraîtront en albums en 1984 (Le dinosaure blanc - "À la recherche de Frank Veeres") et 1985 (Le dinosaure blanc – "L’affrontement"). Le premier recevra le prix de la presse à Angoulême.
Une vingtaine d’années plus tard, Yoann Chivard, qui publiait chez Fluide Glacial, fait la connaissance de Yann et lui parle de son amour pour Bob Marone. Naît alors l’idée de lui redonner vie au sein du Journal d'umour et bandessinées. Au départ, Yann et Conrad envisagent de confier la série à plusieurs dessinateurs, sur le modèle du Donjon de Sfar et Trondheim. En plus de Yoann, les noms de Hardy, Verron et Tarrin sont envisagés. Fluide Glacial refuse finalement ce concept et préfère ne voir qu’un seul dessinateur à la manœuvre. Ce sera Yoann, qui œuvrera sous le pseudonyme de Janus. Sur cette seconde mouture, Yann et Conrad retrouvent un fonctionnement proche de celui de leurs débuts. Yann écrit le scénario initial. Conrad le récupère et fournit un story-board très précis à Yoann qui le met en image. Entre 2003 et 2005, Bob et Bill, nouveau nom de la série, reprendront sept fois du service. La collaboration s’arrêtera en 2007, victime des derniers soubresauts dus à la succession de Spirou. Ce sont ces épisodes parus dans Fluide Glacial que regroupe le présent ouvrage, augmenté d'un inédit concluant définitivement (pour le moment) les péripéties de ce couple de héros très proches.
Si elles sont indispensables pour les aficionados du Commandant et des auteurs mythiques (pour certains) que sont Yann et Conrad, ces nouvelles histoires ne séduiront pas forcément tous les publics. La faute, en premier, au format des récits courts qui souffrira la comparaison avec les albums précédents. Ces derniers avaient une cohérence et une densité propres aux quarante-sept pages. Le scénariste et le dessinateur avaient pu y développer en toute quiétude leur propos. Il est flagrant de voir ici comment les six ou sept pages qui composent chaque chapitre réduisent le champ d’expression des intervenants. Chacun a un côté « résumé contraint » d’une intrigue qui aurait gagné à s’établir sur du long terme. Sur le plan graphique, Yoann semble aussi prisonnier du mode de travail. Limité par le découpage rigoureux de Conrad, il ne s’y exprime pas aussi librement que dans ses productions de l’époque.
Mais le point important tient au ton global du livre. Si parodier en jouant sur les clichés pour mieux critiquer avait un sens il y a trente ans, il n'en allait pas forcément de même il y a dix ans. Que dire alors d'aujourd'hui ? Il n’est pas sûr que de nos jours, tout le monde adhère à l’accumulation des nombreux stéréotypes présents dans l’album. De l’homosexualité au féminisme, en passant par le racisme et le colonialisme, c’est un véritable dictionnaire des poncifs d’une certaine et ancienne bédé classique que dénoncent, lourdement, les auteurs. Le lecteur est averti. Heureusement, il lui restera les bons mots et l’humour si particulier du duo Yann et Conrad, aidé donc ici par Yoann. Derrière la parodie, en apparence moqueuse, l’hommage n’est jamais loin. Les connaisseurs apprécieront le détournement des codes de la série Bob Morane, la vraie, et y verront une sincère admiration de la part de leurs géniteurs, Yann en tête.
Plus de trente ans après sa création, Bob Marone prend donc sa retraite. S’en étant toujours sorti à temps, il peut dorénavant délaisser l’aventure au parfum d’antan et se laisser glisser le cœur tendre dans le lit de Mister Bill.
7.0