Indigo Blue
C
'est un bel et sobre écrin qu'Asuka a concocté pour abriter Indigo Blue, le troisième manga d'Ebine Yamaji à paraître dans nos contrées : couverture épurée avec vernis sélectif, papier ivoire de bonne qualité, bien qu'un peu rigide transparent... La jeune maison d'édition croit visiblement beaucoup en cette jeune femme, déjà nominée cette année à Angoulème dans la catégorie "meilleur premier album" pour "Love my Life", une de ses précédentes oeuvres.
Alors qu'en est-il de cet Indigo Blue? Ebine Yamaji nous conte l'histoire de Rutsu Nakagawa, une jeune femme écrivain, douée et commençant à être reconnue. Celle-ci sort avec son responsable éditorial, mais ne l'aime pas vraiment. Elle semble se chercher, jusqu'au jour où elle rencontre une de ses lectrices, Tamaki Yano, qui s'interroge sur le sexe de "Y", le personnage principal d'une des nouvelles de Rutsu...
Fidèle à elle-même, Yamaji nous présente une fois de plus une histoire d'amour homosexuelle dans un style sobre et épuré, sur fond de littérature. Les progrès que l'auteur a fait depuis Love my Life sont flagrants : le dessin a mûri, elle paraît bien plus à l'aise dans la retranscription des expressions et dans la variété de celles-ci, conférant ainsi à ses personnages une plus grande justesse. De même, La narration d'Indigo Blue se révèle être beaucoup plus fluide que celle de love my Life et Yamaji évite cette fois-ci l'écueil de la répétition scénaristique. Si son livre est toujours découpé en chapitres (correspondant au découpage dû à la prépublication dans un magazine au Japon), la "coupure" entre ceux-ci ne se fait presque plus sentir, car leur construction est beaucoup moins systématique qu'avant. Au lieu de créer des nouvelles ayant une trame de fond , Yamaji construit un récit homogène, où l'histoire globale prend le dessus sur celle du simple chapitre.
Pourtant, Indigo Blue n'est pas exempt de défauts. Un des problèmes des précédents ouvrages de Yamaji venait de la représentation de l'acte sexuel, ou plutôt de sa non-représentation. Alors que les personnages parlaient beaucoup de sexe, et parfois écrivaient sur le sujet, un voile pudibond était tiré sur leurs propres ébats, donnant ainsi un côté bancal au titre par l'intellectualisation d'un acte physique faisant partie de la vie de tous les jours.
Ici le pas est franchi, mais l'auteur manque visiblement de maîtrise dans ces moments, allant jusqu'à gâcher complètement une scène d'amour en la coupant brutalement et en apposant à l'un de ses personnages des paroles dignes d'un mauvais téléfilm. Les corps manquent parfois également de souplesse et les postures de justesse, ce qui ne pardonne pas dans ce genre de scènes.
Autre problème important, Ebine Yamaji ne semble pas connaître les vertus du silence. Si le phénomène est moins prononcé que dans Love my Life, les protagonistes d'Indigo Blue passent néanmoins leur temps à parler, à discuter sur eux, sur leur métier, leurs relations... Ce flot de paroles finit par créer une distance entre eux et le lecteur, et atténue les émotions qu'il pourrait ressentir. D'une manière générale, les manifestations physiques sont rares, alors que les paroles coulent à flot. C'est d'autant plus dommage que les quelques cases silencieuses d'Indigo Blue sont très réussies et en disent souvent plus long que la loghorrée verbale qui les précède ou les suit. Les regards, les postures, tout sonne juste dans ces moments là.
Indigo Blue laisse derrière lui une impression de gâchis, parce qu'il manque peu de choses à Ebine Yamaji pour nous faire un très bon livre. Un peu plus de coeur, de chaleur, un peu moins de discussions, quelques choix narratifs malheureux effacés, et le lecteur tombait définitivement sous le charme. Mais au vu des progrès que la jeune femme a effectué depuis Love my Life, on ne peut qu'être optimiste pour la suite, et se dire qu'Asuka a bien raison de croire en elle.
6.0