Chère Louise

« Dès que je sens qu’on essaye de raconter une histoire, je ferme le livre. Des histoires avec des enjeux tout construits et de grandes révélations finales, ça me fatigue. Je lis des essais, des autobios. Ils échappent à ça et ça les rend riches et inventifs et hasardeux ».

Ces considérations de Pierre Wazem couchées à même le papier dans ce bouquin, Chère Louise, en décrivent assez bien les rouages et le contenu. Il s’agit plus précisément d’une correspondance entre l’auteur et Louise, où plutôt d’une sorte de monologue, puisque les réponses de sa destinatrice, passées les toutes premières pages, sont absentes. Comme Louise, d’ailleurs, mais ça, c’est une autre histoire.

Wazem lui expose la vie aux Studios Lolos où il travaille et où, accessoirement, « on s’envoie des vannes, on s’engueule, on s’embrasse, on s’encourage… et là où tout s’arrange autour d’un verre de vin ». Après, ça part souvent en digressions, ou pas, vers des terrains insouciants, anecdotiques, ou plus sombres, plus personnels. Ça bascule de l’un à l’autre sans prévenir, au fur et à mesure de ces lettres dessinées réalisées d’octobre 2003 à fin 2012. Le trait varie, non pas au gré des époques, mais au gré des atmosphères. Le plus souvent très vif, alors essentiellement au service de la narration, il mue parfois en quelque chose de plus appliqué pour offrir des instants comme en suspens, où le temps s’arrête alors de défiler au profit de la contemplation, de la réflexion. Un ange passe.

Cet album fait écho à ce qui a précédé dans l’œuvre de l’auteur. De manière évidente, il s’inscrit dans le prolongement de Promenade(s) et Presque Sarajevo : même éditeur (Atrabile, dans la très justement nommée collection Flegme), style graphique et foutoir - car rien n’est jamais simple chez Pierre Wazem quand il se met en scène. Mais c’est un ouvrage qu’il convient aussi de croiser avec Mars aller retour pour mieux percevoir les démons qui le hantent. Enfin, il est aussi possible de s’interroger sur le point de contact entre ce Chère Louise et Week-end avec préméditation (réalisé avec son compère Tirabosco au dessin) : le chalet. Peut-être une réconciliation avec des fantômes du passé égarés dans la montagne ?

À ces questions, Pierre Wazem ne livre aucune réponse. Sans avoir l’air d’y toucher, en évoquant son quotidien avec une lucide dérision, il entraîne son lecteur dans les profondeurs joyeuses ou sombres de ses errements.

Moyenne des chroniqueurs
8.0