Justice League : Crise d'identité

R alph Dibny, alias Extensiman s’apprête à fêter son anniversaire de mariage. Tandis qu’il discute de son bonheur avec une collègue de la Ligue de Justice, il reçoit un coup de fil de sa femme, terrorisée. Il rentre précipitamment mais découvre le corps de Sue sans vie, assassinée sauvagement. Lors de ses obsèques, l’ensemble des héros de notre monde se réunit pour soutenir leur ami. Ils sont bien décidés à trouver le ou les responsables. Dans la chapelle, ne restent que des membres fondateurs de la Ligue de Justice : Hawkman, Zatanna, Atom, l’Archer Vert, Black Canary et Ralph, ainsi que le Flash (Wally West) et le Green Lantern (Kyle Rayner). Pour les anciens du groupe le coupable ne peut être que le Docteur Light. Jadis, il avait investi la base de la JLA et violé Sue. Terrorisés à l’idée que leurs proches subissent des violences similaires, un vote fut organisé par les membres alors présents. La décision fut d’effacer la mémoire de Light. Hélas,, s'il vient de recouvrer ses souvenirs, retrouver Light devient une priorité absolue. Ils ne savent pas qu'il a engagé l'impitoyable et quasi-invincible mercenaire Deathstroke pour le protéger.

Brad Meltzer est reconnu pour ses thrillers politiques Mort avec Retour (The Book of Fate en Vo) et The Book of Lies ainsi que pour ses scénarios de bande dessinée. Il a participé à Buffy saison 8, écrit les premiers numéros de la série régulière JLA et a reçu un Eisner Award en 2008. Il a marqué l’histoire de la Ligue de Justice par cette mini-série en sept volets publiée en 2004. Controversée pour sa violence, Crise d'Identité n’en demeure pas moins un comics de grande qualité.

Rarement, dans ce medium "populaire", un auteur s’interroge ainsi sur la légitimité des actions des "gentils" face aux "méchants". En se posant comme l’incarnation du Bien, la Justice League peut-elle faire du mal à ses adversaires sans rendre des comptes ? Est-elle au-dessus des lois ? Ne confond-elle pas justice et vengeance ? La manipulation des souvenirs est assurément une métaphore de la torture largement pratiquée par l’Amérique de l’après 11 Septembre. Évoquée de manière crue et controversée dans le récent film de Kathryn Bigelow, Zero Dark Thirty, la torture systématique, légitimée sous les mandats de G.W. Bush par le "Patriot Act", demeure une solution discutable et peu efficace. Light (le double du terroriste) a certes été stoppé un temps mais nombreux sont ceux qui peuvent faire pire encore. Comment donc lutter contre des criminels endurcis sans se salir les mains, heurter des innocents et corrompre, voire perdre son âme ? Les membres de la Ligue (nos doubles) ont des avis tranchés : l’Archer Vert et Hawkman sont pour l’application de la Loi du Talion, Wally West et Kyle Rayner restent sceptiques face à l'emploi de pratiques brutales mais ils sont prêts à se taire pour sauvegarder l’union et la réputation de l'organisation, Batman ne pourra jamais accepter cette barbarie, enfin Superman, comme la majorité silencieuse, préfère fermer les yeux et les oreilles.

Crise d'Identité ressemble à un roman policier que l'auteur aime écrire : Meltzer sème les indices, dévoile des complots, sait placer des "coups de théâtre" et offre un scénario rigoureux, avec des dialogues ciselés avec soin. Cependant, on peut regretter qu'il n'utilise essentiellement que des personnages secondaires, tels que Extensiman, le Calculateur, Captain Boomerang, Docteur Light, etc. Crise d'Identité y perd de son impact émotionnel. Imaginez la situation si, par exemple, Lex Luthor avait assassiné Loïs Lane ! Le trait de Ralph "Rag" Morales, très académique - trop sans doute dans ses cadrages -, est d’une réelle efficacité quand il s’agit de montrer un grand nombre de personnages s’affronter. Parfois un peu confus sur certains plans de visages, il excelle dans la représentation de scènes intimistes et dramatiques : le final est d’une composition formelle magistrale qui fera verser des larmes au plus endurci des lecteurs.

Ainsi, Crise d’Identité est autant une BD de super-héros qu’un thriller. Le scénario - rigoureux et implacable - accompagné d’un dessin soigné - quoique parfois trop sage - font de cet album un titre à lire par les amateurs du genre, mais qui reste également accessible lecteur curieux et exigeant qui s’intéressent aux questions éthiques soulevées sans manichéisme ni arrogance par l’auteur.

L’ouvrage proposé par Urban Comics est un bien bel objet. Basé sur l'édition originale "Absolute", il présente brièvement les différents protagonistes de l’histoire et, offre des croquis, des explications des auteurs, des couvertures alternatives. Le lecteur découvrira pour finir les épisodes 166 à 168 de Justice League of America , publiés en 1979, qui ont servi de base à Crise d’Identité et qui ont durablement marqué un Brad Meltzer alors enfant.

Moyenne des chroniqueurs
7.5