Spirou et Fantasio La Foire aux gangsters

L e 6 février 1958, les lecteurs du Journal de Spirou découvrent un bien drôle de personnage dans la nouvelle aventure de leur héros favori. En deux pages, ce petit Japonais se débarrasse de deux gorilles voulant le kidnapper, avant de se rendre chez Spirou et de commencer à l’agresser. Si Soto Kiki s’en prend ainsi à lui, puis à Fantasio, c’est dans l’unique but de leur prouver l’efficacité du judo. Le Marsupilami se chargera de lui montrer les limites de son art martial. Cette démonstration de force n’a pour seul objectif que de convaincre les deux héros d’aider le valeureux nippon à protéger la progéniture du riche John P.Nut, menacée par la bande du gangster Lucky Caspiano. Le moment venu, Spirou n’hésitera pas à voler au secours du bébé, kidnappé par les hommes de mains, boxeurs de leur état, du sinistre mafieux.

Alors qu'en 1957, André Franquin eut la joie de devenir père, de finir la célèbre histoire du Nid des Marsupilamis, puis d'enchaîner directement avec celle du Voyageur du Mésozoïque, ce début d’année 1958 lui laisse présager de nombreux changements professionnels. Il voit augmenter considérablement sa charge de travail hebdomadaire. D'une part, en plus des aventures du groom, Franquin anime en parallèle celles de Modeste et Pompon dans le journal concurrent. D'autre part, il vient de créer Gaston avec Yvan Delporte, et Dupuis a eu l’ingénieuse idée de lui demander des aventures supplémentaires de Spirou à destination du marché français, pour Le Parisien. Il n’a alors d’autre choix que d’ouvrir un atelier et d’embaucher des assistants. Le moins renommé sera Jean Verbruggen, qui s’occupera des couleurs de Modeste et Pompon, les deux autres seront plus connus. Jean Roba sera l’assistant, et plus, de Franquin sur les aventures de Spirou destinées au Parisien (Spirou et les hommes-bulles, Les Petits Formats et Tembo Tabou). Jidéhem, lui, sera engagé pour s’occuper de Gaston et de la chronique de Starter, avant de prendre en charge les décors des autres aventures de Spirou.

C’est la toute première collaboration entre André Franquin et Jidéhem sur Spirou que Dupuis vous propose de découvrir avec cet album mettant en valeur l’histoire courte La Foire aux gangsters. Créée après Vacances sans histoires qui introduisait la nouvelle Turbotraction, et avant Le Prisonnier du Boudha, ce récit a un côté quelque peu particulier quant au travail de Franquin sur Spirou.

C’est avant tout une vraie histoire de gangsters, de série noire, bien avant que le genre n’envahisse le grand écran. C’est un scénario où Fantasio est grandement absent et qui pâtit, scénaristiquement parlant, de la manière de travailler de l’auteur. Improvisant à la petite semaine, Franquin se retrouva à la fin un peu coincé et ne s’en sortit que par une pirouette transformant le personnage de Soto Kiki, au début du côté des bons, en vrai méchant de l’intrigue. Chose qu'il regrettera toujours. Le passage en album, imposant un redécoupage des planches, se chargeant de plus de casser le rythme initial du récit.

À l’instar du Bravo les Brothers sorti cette année, Dupuis offre un nouvel écrin à cette histoire. Le plaisir est réel de la redécouvrir découpée telle que pour la publication du Journal, et non remontée comme dans les albums actuels. La nouvelle mise en couleur de Frédéric Jannin est plus conforme avec son atmosphère. Surtout, la possibilité de profiter en plus les planches originales, d’encrage, en version fac-similé est peut-être l'intérêt principal du livre. Si le rédactionnel de José-Louis Bocquet et Serge Honorez s’avère parfois n’être là que pour meubler, il n’en demeure pas moins intéressant pour qui veux comprendre comment s’effectuait le travail de ce que beaucoup appellent l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge.

D’un prix beaucoup plus abordable que les tirages de luxe grand format proposés par Marsu Production destinés à un autre public, cette nouvelle « collection », entamée avec Bravo les Brothers et en attendant La peur au bout du fil, va vite devenir incontournable pour les amateurs de l’œuvre d’André Franquin.

Moyenne des chroniqueurs
8.0