L'Écume des jours

F aut-il encore présenter l’histoire, si poétiquement triste, de L’écume des jours, le manuscrit le plus célèbre de Boris Vian ? L’intrigue est connue. Colin, jeune oisif fortuné, tombe amoureux de la belle Chloé. Las. Ce qui aurait dû être une joyeuse histoire d’amour tournera au drame à cause d’un vilain nénuphar mal placé.

Autant le dire tout de suite, vouloir adapter en image ce roman est une réelle gageure. Toute sa force réside en effet dans la rythmique des mots qui le composent et dans l’imaginaire coloré que l’inventivité lexicale de l’auteur provoque. Ce ne sont pas tant les dialogues, mais surtout les récitatifs qui ouvrent la voie à un univers irréel comme on en a peu vu en littérature. Tant et si bien que très peu se sont risqués à vouloir l’adapter visuellement. Charles Belmont, en 1967, l’avait fait sur pellicule. Fort d’un casting comprenant Jacques Perrin, Sami Frey et Marie-France Pisier, il s’en était plus ou moins sorti en imposant un style et surtout un phrasé très Saint-Germain des Prés de l'époque. Michel Gondry y travaille actuellement et beaucoup attendent avec impatience la vision si particulière du cinéaste quant à cette œuvre.

Dans l’album qui nous intéresse, les auteurs, ou l’éditeur, ont effectué un choix très particulier. Alors que le roman s’imposait par les couleurs qu’il prodiguait, l’ouvrage est ici entièrement en noir et blanc. Ajouté au retour à un style nettement plus fin et beaucoup plus sec que ce que Marion Mousse avait pu nous offrir dans ses réalisations précédentes, le tout semble n’avoir retenu que le côté le plus triste et amer du roman. Si heureusement de nombreuses scènes nous touchent par leur justesse graphique, il est à regretter que d’autres ne tiennent que par les souvenirs de la lecture du livre. Le remplacement des récitatifs par des monologues des personnages, et donc des successions de cases, a tendance à briser la mélodie et la saveur du phrasé littéraire.

Un lecteur vierge de la version romanesque aura sûrement du mal à saisir l’entière poésie qui se dégage du texte initial. Espérons que cette lecture lui donne toutefois envie de se tourner vers l’original. Il n’en reste pas moins que l’exercice est intéressant, surtout par le travail de mise en scène effectué par Marion Mousse. Était-il nécessaire, c’est une autre question.

Moyenne des chroniqueurs
6.0