Industriel

T out est exprimé dans le titre : c'est un monde industriel, froid et déshumanisé, que Zezelj décrit dans ses deux nouvelles, simplement numérotées "Industriel 1" et "Industriel 2". Où est la place de l'homme dans ce chaos métallique de la Babel new-yorkaise où s'affrontent possédants et prolétariat ? Une échappée hors des fabriques dantesques est-elle offerte aux réfractaires ? L'auteur finit par ouvrir les portes du grand large dans les ultimes images d'un album entièrement muet, dont les hurlements sont pourtant audibles.

Qu'y a t-il de vivant dans cette jungle des villes brechtienne où l'acier des décors submerge l'horizon, sinon quelques regards d'êtres menacés et de rares silhouettes féminines ? L'expressionnisme domine sur fond de lutte des classes entre aristocratie fascisante et parti révolutionnaire, grâce au rendu brutal du trait en forme de balafres et d'encrage noir éclaté, fendillé, éparpillé au gré de l'action. Ce sombre désordre monochrome sur fond blanc ne s'ordonne que pour exposer de majestueux félins protecteurs, ou une baleine melvillienne fascinante de blancheur.

La menace de destruction est partout, dans les combats de rue, dans les ateliers-bagnes et les recoins architecturaux comme abris dérisoires. En saturant de noir ses compositions, Zezelj contraint le lecteur a accoutumer son regard à cette apparente obscurité, jusqu'à discerner choses et êtres cachés jusqu'alors dans les entrelacs du dessin. Seule cette lecture à lente progression autorise la compréhension des intrigues, aussi simples dans leur déroulement que complexes dans leur représentation. Un tour de force qui inscrit Industriel dans la grande tradition des histoires muettes qu'un Moebius inaugura en son temps. Mais la parabole sur l'humaine condition nous immerge ici dans un Futuropolis langien où l'individu n'a qu'une issue : la fuite ! In fine, le salvateur règne animal, chéri par l'auteur, déboulonne l'univers riveté des humains.

Zezelj est donc un faux pessimiste. À sa virtuosité graphique, qui l'apparente à un Breccia, se mêle la nostalgie des grands espaces sauvages où régnaient, il y a peu, King-Kong, Shere-Khan et Moby Dick, ces formidables machines à rêver.

Moyenne des chroniqueurs
8.7