Retour à Saint-Laurent-des-arabes Retour à Saint Laurent des arabes

D aniel interviewe ses parents instituteurs sur une période de leur vie professionnelle qui les a profondément marqués : leur travail au sein d’un camp de réfugiés Harkis dans les années 60-70. L’enquête personnelle menée par le fils sert de thérapie et permet l’extériorisation d’un poids enfoui depuis des décennies au fin fond d’une mémoire meurtrie par l’oubli imposé par une chape de plomb nationale.

C’était il y a presque cinquante ans, un demi-siècle, une éternité, et pourtant cela reste ancré dans leur esprit comme si c’était hier. La volonté de ne pas oublier le comportement inacceptable du pays de la liberté et l’incompréhension du moment, mais surtout la nécessité de confirmer le caractère indispensable de leur expérience. Simplement parce qu’il fallait que quelqu’un fasse le boulot et que leurs convictions étaient les bonnes : le don de soi pour aider les autres, la nécessité d’une conscience professionnelle irréprochable née de leur vocation.

Ces "autres", ce sont ces fils et filles de la France que la mère patrie, après avoir été contrainte et forcée de ne pas les abandonner, a parqués, pour ne pas dire enfermés, pendant plus de dix ans dans des camps à peine salubres. Les Harkis, leur femme et leurs enfants sont racontés sous le prisme de l’éducation de la République dispensée par un homme et sa future épouse qui se rencontrent sur les mêmes idéaux et se construisent autour de cette expérience. Pendant neuf années, ils essayent d’adoucir et d’améliorer un sort bien peu enviable et tentent de comprendre une population rejetée, tout en lui donnant des outils pour lui permettre de s’intégrer au mieux dans un pays qui est devenu le sien et qui lui est pourtant étranger.

Le cadre graphique est économe et régulier. Le gaufrier de six cases principalement utilisé participe à la création d’une ambiance sereine nécessaire à l’analyse impartiale d’une situation qui génère une passion inévitable pour ceux qui l’on vécue. Les tons pastels des échanges fils/père/mère et du retour sur les "lieux du crime" contrastent avec les couleurs légèrement ternes des évocations du passé marquées par la tension et l’austérité de l’époque. Loin d’être monotone et triste, le récit alterne judicieusement témoignages et flashbacks rendant passionnante la mise en lumière d’un élément tragique constitutif de l’échec de la capacité d’intégration de notre société actuelle.

Retour à St Laurent des arabes est un témoignage sobre et objectif que le cinquantenaire de la signature des accords d’Évian marquant la fin de la guerre d’Algérie devrait aider à mettre en avant.

Moyenne des chroniqueurs
7.5