Aâma 1. L'odeur de la poussière chaude

V erloc Nim part à la dérive. Il noie son chagrin et son désespoir dans l’ivresse du shia, cette substance qui permet de s’abandonner dans les bras du fantasme et du rêve et, ainsi, d'oublier sa femme partie, l’interdiction de voir sa fille et la perte de tous ses biens. La rencontre fortuite de son jeune frère va lui offrir une échappatoire. Conrad, agent de la très puissante compagnie de biorobotique Muy-Tang Corporation, lui propose de l’accompagner sur la planète Ona(ji) pour tenter de reprendre contact avec un groupe de scientifiques abandonné depuis cinq ans. Cette mission va être le moyen pour Verloc de s’éloigner des siens et de ses échecs pour faire le point. Mais ne va-t-il pas finalement se retrouver à les affronter ?

Un nouvel univers, de nouveaux personnages, une nouvelle aventure et pourtant tout semble familier. Passé les premières pages mystérieuses qui plantent le décor, la marque de fabrique de Frédérik Peeters saute aux yeux : des relations humaines noyées dans une aventure fantastique hors du commun. Mais là où d’autres se focaliseraient sur l’une ou l’autre des composantes, Frédérik Peeters soigne chaque détail et construit un ensemble crédible. La science-fiction est le berceau de aâma et L'odeur de la poussière chaude est le commencement d’un récit de genre plutôt classique avec doubles flash-back et échanges sibyllins entre un homme sans mémoire et un robot, qui nous mènent au cœur de relations complexes. Questionnements philosophiques sur la raison d’être, la confiance donnée (le personnage de Parjapath est d’une consistance exceptionnelle) ou sur la réussite professionnelle qui placent l’humain au centre du récit, même si l’aventure et le suspens ne sont pas minimisés. L’énigme induite par l’introduction en est d’ailleurs l’élément principal. Une certaine résonnance avec notre actualité et la crise, cause de bien des maux, est peut-être une coïncidence mais elle vient ajouter une pointe de vraisemblance qui ancre l’histoire dans une réalité futuriste plausible. L’Histoire n’est-elle pas amenée à se répéter sans cesse ?

Graphiquement, les ambiances de Radiant ne sont pas sans rappeler le fourmillement de Point central de Mézières et celles de la planète Ona(ji) se rapprochent du travail de Moebius quand il ère sur Le monde d’Edena ou près de son Garage hermétique. Les couleurs sobres et un découpage assez classique et linéaire permettent d’instaurer une ambiance plutôt posée, propice aux échanges et au développement progressif de l’intrigue sans tomber dans les affres d’une course effrénée qui emportent vers une lecture trop rapide et donc bien souvent superficielle.

Nul colt ne traine à portée de main et c’est tant mieux. Point de space opera non plus, F. Peeters fait de la science-fiction humaniste loin des clichés souvent véhiculés par ce genre. Avec un récit offrant sa part de zones d’ombre, de révélations et d’indices sur le passé et l’évolution des protagonistes, L'odeur de la poussière chaude initialise une série plus que prometteuse. A lire et à relire puis à ranger à côté de Les derniers jours d’un immortel.