Portugal

S imon Muchat est un jeune auteur de BD qui n’a plus la foi. Son travail alimentaire d’animateur scolaire ne le satisfait pas plus, et sa vie avec Claire ne lui apporte guère de réconfort, enfermé qu’il est dans son marasme et sa morosité. Un voyage au Portugal, dans le cadre d’un festival, va être la goutte de nostalgie qui fera déborder le trop-plein de vague à l’âme et qui sera fatale à sa vie de couple, mais peut-être salvatrice pour son activité artistique.

Cyril Pedrosa est un auteur à part qui sait alterner séries d’aventure, d’humour et albums plus introspectifs. Après l’émouvant Trois ombres et la légèreté écolo d’Autobio, il a mis un point final à un projet, né il y a plusieurs années, de 264 pages narrant le quotidien d’un auteur en panne d’inspiration et à la recherche de ses racines. Nourri de son vécu mais sans pour autant être autobiographique, Portugal est la quête de l'identité d'un jeune homme qui ne cherche pas à léguer quoi que ce soit mais à reconstruire son particularisme et ainsi y puiser l’énergie de la création qui semble l’avoir abandonné. Pour cela, il va s’imbiber de l’atmosphère de son pays d’origine, renouer des liens familiaux et faire se délier les langues. Alternance de promenades, de découvertes et de discussions à bâtons rompus, l’album est une succession de scènes où la dépression puis la renaissance de Simon sont le fil rouge sans lequel l’impression de récit décousu serait prégnante.

La couleur, directe pour la partie se situant au Portugal et la fin de l’album, toute en ocre et lumière rehausse d’une pointe de chaleur, indissociable d'une certaine idée du sud un trait qui souligne parfaitement la nonchalance chaloupée d’un Simon en plein doute et redécouvrant ses origines tues par un silence familial assourdissant. La sobriété du dessin et du propos font de cet album une balade reposante et enivrante. Cyril Pedrosa excelle dans la mise en scène de la contemplation du monde alentour. Ça bouge, ça fourmille, ça danse parfois mais cela repose et émerveille. Les textes portugais non traduits permettent à l’auteur de lier le lecteur à son personnage, en le plongeant dans un univers étranger dans lequel seules les images et les ambiances sonores comptent. Avec un but : éprouver du plaisir, ou simplement un certain apaisement, comme peut le ressentir Simon dans les rues de Lisbonne. C’est magnifiquement rendu et savamment imaginé avec cette technique de transparence qui fait se fondre les décors et les passants en une seule trame, envoutant le promeneur oisif. L’auteur combine différents styles de mise en page pour alterner les atmosphères. Au désespoir alcoolique les cases tourmentées, aux pensées solitaires et dialogues exaltés les gaufriers rectilignes et aux réflexions méditatives les pleines pages, etc. La diversité, si elle peut dérouter et instiller une impression de raccommodage de simples anecdotes, permet de varier les plaisir et de chasser une monotonie qui aurait pu naître d’une uniformité de traitement sur une si longue distance.

Portugal est un melting-pot de situations et de sentiments lentement mais mûrement exposés comme une thérapie salvatrice. Pedrosa, sur le chemin d’une part de son enfance, construit une chronique au ton juste, jamais condescendante ni larmoyante, et mène Simon vers l’exaltation sage de l’auteur enfin libéré d’une chape de plomb héréditaire.