Arzak L'Arpenteur

A u début des années 70, Moebius révolutionne la bande dessinée en produisant Arzach. Il est dans sa période free jazz et ce projet en est la transposition graphique. Son thème principal, son exposition, ses multiples variations se perdent comme un écho dans la profusion des improvisations.

En 2010, le maitre remet en scène son personnage fétiche, l’icône qui l'a accompagné durant toute son œuvre au détour d’une sérigraphie, d’un ex-libris, d'un dessin animé ou d’une affiche de festival. Sa signature.
Deux versions ont été proposées. En début d’année une édition limitée, en noir et blanc, muette, et cet automne, l’album grand public en couleurs avec phylactères et récitatifs. Malheureusement, aucune des deux versions n’est la bonne.

Dans Arzak, le verbe est un "restricteur" des possibles. Transposition des westerns hollywoodiens dans l’univers moebiusien, le scénario en lui même est sans grand intérêt. À la limite, peu importe : créer du sens n’est pas ce que l’on demande à cet auteur. Ce cheminement est la part réservée au lecteur, son travail et son plaisir intime. Ce que l’on attend de Moebius c’est de créer, au gré de ses vagabondages, une matrice, l’amorce et le réceptacle de nos projections fantasmatiques. Dès lors, vouloir structurer le récit par des paroles est vain. Hors sujet. La preuve en est donnée par la version muette, parfaitement lisible et intelligible. Intégrer du texte à l’album ne fait que défigurer les planches, avec pour contrepartie la mince consolation de connaître, peu ou prou, le nom des protagonistes.

Non. Moebius est le réel arpenteur des mondes et Arzak est son carnet de route. C’est une poésie. Une invitation au voyage avec ses correspondances, ses vivants piliers, ses forêts de symboles, ses rochers de cristal et ses bijoux sonores. Un monde rayonnant de métal et de pierre où le son se mêle à la lumière. Nul besoin d’une trame textuelle pour étayer une intrigue bien mince. Giraud le disait lui-même en 1976 en parlant de sa création : « Je vais vous expliquer pourquoi je fais des bandes dessinées sans scénario […] En fait c’est très simple : d’une part il y a tout ces raconteurs d’histoires... À chute, à exploit, à messages, à moral, à gag […] Il n’y a aucune raison pour qu’une histoire soit comme une maison, avec une porte pour entrer, des fenêtres pour regarder les arbres et une cheminée pour la fumée… On peut très bien imaginer une histoire en forme d’éléphant, de champ de blé, ou de flamme d’allumette soufrée ».

Dans l'idéal, l’édition qui aurait dû être publiée est la version couleur, grand format et muette. Avec peut-être, comme dans la version noir et blanc, un récitatif en page de gauche, plus ou moins long, pas nécessairement dans un alphabet connu, qui aurait servi de curseur pour évaluer la quantité de temps ou d’action qui se déroule.

Reste la partie graphique. Comme une fin de cycle, la schizophrénie Giraud-Moebius se fait de plus en plus ténue et la fusion des deux personnalités plus patente. C’est l’occasion de représenter les vertigineux canyons de Blueberry sous des angles de vue inédits. Les influences amérindiennes et mexicaines envahissent avec ravissement ce monde de science-fiction. Mais, souvent inégales les cases riches, fouillées, lyriques alternent avec d’autres plus simplifiées qui, au-delà d’un dépouillement volontaire, sont parfois maladroites. Le trait se fait parfois hésitant, épais, pâteux et les détails absents. C’est que durant la réalisation de l’album, Moebius a eu quelques soucis de santé. Au point que, mécontent du résultat, il a redessiné a posteriori certaines planches qui, malheureusement, ne sont pas présentes dans l’ouvrage définitif. Le lecteur se prend alors a rêver d’un Arzak dessiné par le maître au sommet de sa forme.


Version album


Version redessinée, non publiée

Moyenne des chroniqueurs
7.5