La quête de l'oiseau du temps 7. La voie du Rige

L orsqu'en 1985 sort le troisième tome de La quête de l'oiseau du temps, la légende du Rige se construit sur un sentiment assez rare dans l'univers encore peu fourni de la bande dessinée d'heroic fantasy : le renoncement. Tout se passe en une réplique et quelques cases.
Dans l'introduction, le Rige définit lui-même Bragon ainsi : "Nul autre que cet homme ne peut m'égaler sur Akbar". Plus tard, lors de leur première confrontation, celui-ci sollicite humblement la permission de traverser le territoire de la créature dont la loi ne saurait souffrir d'exception, même si l'avenir d'Akbar en dépend : tout ceux qui pénètrent sur son territoire doivent en payer le tribut de leur sang. Et à la stupéfaction générale, Bragon renonce. Un renoncement dénué de couardise mais empreint de respect et dicté par l'amour paternel. Hors de question de risquer la vie de Pelisse dans un combat qu'il suppose perdu d'avance. Quel que soit le fléau qui va se déchainer, il ne sacrifiera pas sa fille à la loi de la Chasse. Il fait demi-tour et s'en va. Mais le Rige veut son combat contre le seul être qu'il considère digne de lui et abat sa monture d'un jet de lance. L'humain, lui, ne se retourne même pas et continue son chemin. L'humiliation est bue jusqu'à la lie, la capitulation totale. Bragon, notre bon vieux Bragon, notre héros, vient de céder. Il ne sauvera pas le monde.
La légende du Rige vient d'éclore sous nos yeux, sans un combat, sur un simple échange de regards et hantera le lecteur bien au-delà d'un simple album.

Bien sûr, la cinquantaine de pages suivantes va étayer cette légende, donner corps à ce prédateur implacable au physique intrigant, au patronyme honorifique, armé d'une unique hache, la Faucheuse. Qu'il n'abat que pour tuer, suivant inlassablement la voie de la chasse, la recherche de la perfection dans l'art de la traque et le geste de la mise à mort. Qu'importe la proie. Il faudra tout le savoir et l'expérience de Bragon ainsi que le renfort inespéré de son ancien disciple Bulrog, pour venir à bout du Rige, son maître et mentor.

Quand, dix ans plus tard Loisel et Letendre annoncent la suite de La Quête, tous les aficionados de la série n'attendent qu'une chose : revoir le Rige. Pourtant, l'attente sera encore longue puisqu'il faudra dix années et deux tomes d'introduction pour qu'arrive enfin La voie du Rige, ce qui contribue bien entendu à amplifier le mythe.

Voici donc le jeune Bragon en compagnie d'autres aspirants à l'instruction du maître qui espèrent, tels Vladimir et Estragon attendant Godot, que le Rige se manifeste et choisisse un disciple ainsi que le prétend la rumeur. Une attente qui aurait pu s'éterniser sans l'irruption de trois adeptes de l'Ordre du Culte. Adorateurs de Ramor, ils volent la Faucheuse du Rige et s'enfoncent dans la forêt pour le tuer. C'est le départ d'une poursuite qui mènera le disciple à son futur mentor et lui vaudra ses premières leçons.
Loisel et Le Tendre ont concocté une aventure impeccable, tracée au cordeau, avec une somptueuse mise en scène de l'apparition de la figure mythique. Un récit peut-être un peu trop linéaire puisqu'ils proposent de suivre Bragon tout au long de de l'album, mais qui a l'avantage de remplir la promesse du titre. On voulait du Rige, on en a. En action, en méditation, il dévoile une pensée complexe et contradictoire qui se traduit par son attitude sans animosité à l'égard du jeune, tour à tour protectrice, calculée, ou parfois même amicale.

Le point fort de l'album est aussi son point faible. Le cheminement des deux protagonistes, en face à face, permet certes d'éclairer un début de relation mais exclut de fait tous les rôles secondaires qui étoffaient la fresque initiale. Fol de Dol et ses vénéneuses énigmes en vers. L'inconnu et ses bourdes à répétition dont les frasques involontaires distillaient une nécessaire dose d'humour qui venait en contrepoint des scènes épiques. La pulpeuse Pelisse dont l'absence ne fait que mettre en évidence la pauvreté des figures féminines du présent opus. Bulrog, le ténébreux disciple, qui passe de l'ombre à la lumière. Jusqu'aux assistants du Rige, plus bêtes qu'efficaces. Chacun son boulet. Leur absence est logique puisqu'il s'agit d'une préquelle mais, sans vouloir à tout prix reproduire un schéma similaire, les auteurs auraient pu facilement introduire, dès les tomes précédents, de nouveaux personnages pour insuffler à cette nouvelle saga ce petit supplément d'âme qui la rendrait magique.

Graphiquement, la tentation de comparer le travail de Maillé à celui de son prédécesseur est inévitable. Il s'en sort plus qu'honorablement, même si son trait est plus lisse, son encrage plus travaillé, pour un rendu globalement moins nerveux que celui de Loisel. À signaler, la belle trouvaille des papillons qui donnent une touche presque symphonique à une forêt sombre et luxuriante, étrangement vierge de ces antiques et monumentales ruines d'une civilisation disparue qui la parsèmeront pourtant quelques années plus tard.

Quoiqu'il en soit, Le Tendre et Loisel devront dans les prochains tomes éviter le syndrome Yoda-Skywalker et ceux qui affronteront le Rige devront se rappeler non seulement que leur adversaire n'est pas un guerrier mais qu'ils ne sont que la proie du chasseur.