Grandville 1. Grandville
« Il y a deux cent ans, l’Angleterre perdit la guerre contre Napoléon. Comme le reste de l’Europe, elle fut envahie par la France et la famille royale fut guillotinée ». Un temps intégrée à l’Empire français, l’Angleterre devait recouvrir son indépendance après une longue campagne de désobéissance civile et d’attentats anarchistes. La République socialiste de Grande Bretagne peine depuis à s’imposer sur la scène internationale quand la France conserve à son égard rancœur et mépris. C’est dans ce contexte troublé que l’inspecteur LeBrock de Scotland Yard va se lancer sur la piste d’un mystérieux assassin. Une investigation, menée tambour battant, qui le conduira au cœur d’une machination politique orchestrée depuis la Ville Lumière.
Dans Les Aventures de Luther Arkwright, Bryan Talbot donnait déjà dans l’uchronie steampunk victorienne. Là, Londres y subissait la tyrannie d’une dictature puritaine. Dans l’ombre, les royalistes, alliés aux Prussiens et aux Russes, préparaient la révolution. Las, c’est l’Empire qui devait s’imposer, et les conspirations de reprendre de plus belle (L’héritage de Luther Arkwright : au cœur de l’Empire). Ici, Grandville, le Paris de la belle époque, mais les mœurs politiques n’ont guère évolué. Les arcanes du pouvoir bruissent de complots et les rumeurs vont bon train quant à l’existence d'une menace terroriste venue d'Outre-Manche. Une différence cependant, les décors typés Art nouveau se peuplent de personnages à têtes d’animaux, Talbot s’inspirant des illustrations du dessinateur Jean Ignace Isidore Bernard datant du début du 19e siècle. Nom de plume : JJ Grandville. C’est que, dans la France fascisante de Napoléon XII et de son Premier ministre, Jean-Marie Lapin, il y a peu de place pour les humains, cette « espèce de chimpanzés glabres, qui a évolué dans la ville d’Angoulême », relégués au rang de domestiques. Parmi eux, quelques figures connues : une bonne bretonnante et un groom dans sa livrée rouge qui se démène pour ne pas être mis au rebut, remplacé par un automate. Mais LeBrock n’a que faire de la piétaille. C’est toutes griffes dehors qu’il se jettera, d’un fiacre à vapeur dans les bras de Sarah « Blaireau » Bernhardt, du haut d’un dirigeable dans la gueule du Lion, du Loup et du Renard, après un détour au Lotus Bleu, auprès d’un blanc fox-terrier manifestement opiomane.
Autant dire que malgré des filtres et une colorisation informatiques plus que discutables – une évidence à la découverte, dans le supplément, des planches avant qu’elles n’aient eu à subir ce traitement – , les éditions Milady gratifient le lecteur d’un récit accrocheur et d’un bel objet. La maquette soignée ne manquera pas de rappeler aux nostalgiques les reliures Hetzel des Voyages extraordinaires de Jules Verne, auquel Talbot rend ici hommage.
7.3