Apocalypse sur Carson City 1. Fuite mortelle

« Bon sang, soldat, un peu de cran que diable ! Vous n’allez pas me dire que vous n’avez jamais vu de macchabées. Faites comme eux, gardez la tête froide et reprenez-vous…C’est un ordre nom de Dieu ! » « P’pa … le monsieur a disparu dans l’eau avec son bateau… tu crois que c’est les poissons qui l’ont mangé ? » « Mais oui, ma chérie, il faut bien qu’ils se nourrissent … » « Que personne ne bouge… A plat ventre, les mains sur la tête ! Face au mur, bras tendus ! » « Heu… c’est quoi déjà le plan A ? » « Discrétion et évacuat… »

Près de Carson City, dans le Nevada, sur le lac Tahoe, un après-midi d’octobre 1982. Un pêcheur à la ligne et son embarcation subissent l’attaque d’un poisson particulièrement agressif avant que, sur la rive, le pique-nique d’une famille vire au cauchemar. Quatre jours plus tôt, dans le désert du même Etat, le général Matthews débarque en trombe dans une base militaire marquée secret défense et demande à être immédiatement conduit au laboratoire du professeur Phobic. Presque dans le même temps, au sud-ouest de la capitale, les frères Blackwood, trois dangereux gangsters en fuite, font une halte dans un restoroute tandis que le shérif Justice patrouille dans le secteur.

Un scénario, une mise en scène et des dialogues signés Griffon.

En janvier 2007, Billy Wild révélait le style graphique très affirmé et très original d’un nouveau venu dans la bande dessinée : Guillaume Griffon. Trois ans et un deuxième tome plus tard, l’illustrateur investit le média en tant qu’auteur complet. A la façon d’un Fabrice Lebeault, qui, dans Le mangeur d’histoires, s’était totalement approprié le genre du roman-feuilleton d’antan, Guillaume Griffon investit le 7ème Art, plus particulièrement estampillé série B. Action, horreur, fantastique, science-fiction, humour, tout y est, et plus encore. De la bande annonce au générique, de la variété des cadrages au découpage ciselé, tout est en phase, en prise directe avec le cinéma, celui de caractère, à l’impact très puissant. Qu’ils soient gangsters, militaires, cuistot ou policiers, les différents protagonistes sont très typés. Grande gueule, durs « à cuire », capables de tuer de sang froid puis de réagir, l’instant d’après, comme un gamin qui ne comprend pas pourquoi il vient de se faire gronder, peureux, dégageant une grande tranquillité avant de paniquer, disjonctés, tous sont parfaitement cernés, y compris au niveau de leurs facultés intellectuelles et de leur aspect physique.

Un auteur doté d’un tel talent et au trait si singulier, qui maîtrise parfaitement les effets spectaculaires, ne pouvait présenter l’histoire de façon linéaire. Il déroule l’intrigue à la manière d’un Quentin Tarantino dans Pulp Fiction, c’est-à-dire au moyen d’une construction complexe et inversée, deux des trois dernières parties venant se télescoper en apportant un éclairage sur la première. De quoi s’y perdre un temps, y compris sur le genre, puis d’éprouver une certaine admiration quand est donnée la clé de la subtilité de l’articulation. Cette ingéniosité se retrouve dans la page d’introduction des différents chapitres et plus précisément dans le choix des répliques, tirées de plusieurs films, totalement en phase avec ce qui va suivre, jouant le rôle des chansons insérées dans Plus cool tu meurs, d’Alex Robinson, un autre maître du découpage. Que ce soit dans les scènes, dans le flashforward incrusté sur les fiches des personnages lors des arrêts sur image, ou dans le contraste entre la teneur des dialogues, l’aspect froid du noir et blanc et la violence de certaines situations, l’humour est omniprésent et il fait mouche très souvent.

Quentin Tarantino, Alex Robinson, deux belles références… Si Fuite mortelle possède les ingrédients suffisants pour qu’Apocalypse sur Carson city devienne celle d’une jonction entre le cinéma et la bande dessinée, il faudra tout de même que Guillaume Griffon s’attache à bien tenir le cap et qu’il se garde, dans cet exercice de haut vol, de trop en faire ou de trop en mettre. En effet, si la chanson de Creedence trouve parfaitement sa place en tant que texte et accompagnement « sonore », et si le seul nom de la barque suffit à rappeler Orca, la double page évoquant L’homme qui valait trois milliards et Dark Angel crée une sensation de longueur : elle n’apporte pas grand-chose à l’intrigue et ne semble trouver sa justification que dans le désir de caser des clins d’œil à ces films, d’enrichir la cinémathèque. Quoi qu’il en soit, cette série démarre très fort et il faudra peu de temps pour savoir si elle tient toutes ses promesses, le second épisode, intitulé Le commencement de la fin, étant annoncé pour septembre.

A la frontière entre 7ème et 9ème Arts. Très efficace, très dynamique, très typé et décapant. A, ah ah, aaaaaaahhhhhhh, lire absolument !


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A lire : les chroniques de Billy Wild, tome 1 et tome 2

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