Cul de Sac 1. Sortie de secours
A
u centre d’un îlot pavillonnaire, cerné par le boulevard périphérique, où la grande surface tient lieu d'attraction, chacun tient son rôle et les caractères sont bien trempés. Il y a ainsi Alice, une fillette de quatre ans particulièrement remuante, ses camarades de l’école du Havre Joyeux, son frère Petey, ainsi que ses parents, Pete et Madeline.
Richard Thompson, en s’attachant aux pas des Otterloop, une famille américaine typique à l’existence banlieusarde banalement quotidienne, s’impose comme le digne héritier d’un Charles Schulz (Peanuts) ou d’un Bill Watterson (Calvin & Hobbes). A la suite de ces glorieux aînés, Thompson met en scène des personnages dans des situations de tous les jours et prête des émotions humaines à ses animaux. Une grammaire graphique simplifiée, des enfants échangeant des réflexions d’adulte : la recette est éprouvée. Encore fallait-il une vision singulière et un humour tout en délicatesse pour dominer cet art exigeant consistant en une bande de quatre à cinq vignettes horizontales, qui, en imposant de le condenser, donne toute son intensité au gag.
Le mélange est ici savamment dosé. Richard Thompson porte un regard respectueux sur l’enfance, plein de profondeur et de tendresse. Il parvient aussi à exploiter jusqu’au bout le regard extérieur de l’enfant, à le confronter à la réalité du monde sans toutefois que ce dernier ait à en subir la violence. Le décalage entre l’aspect des personnages et une partie de leur discours fonctionne à merveille, surtout quand il joue sur les contraires : à la gravité enfantine s’opposent souvent les réflexions décalées et pour le moins excentriques des parents. Alice cherche à comprendre le monde qui l’entoure et ne se satisfait pas des réponses et du discours évasif que lui tiennent les adultes. Parfois même choisit-elle de ne pas en tenir compte, quitte à tirer des conclusions hâtives mais ô combien poétiques. Cul de sac offre en conséquence plusieurs niveaux de lecture et traite parfois de choses qui ont peu à voir avec l’innocence ou l’imaginaire enfantin. Les petits s’identifieront bien entendu à Alice, les plus grands s’amuseront des dialogues ou du comique de situation, se prendront à réfléchir plus avant à la condition parentale, à ce qu’elle implique en termes de responsabilité, de rôle éducatif ou se laisseront (un peu) embarquer par les aspects métaphysiques ou existentiels.
De ce point de vue, si on ne lasse pas des aphorismes du cochon d’inde de la classe de maternelle, c’est surtout par son sens du rythme et de la narration que Cul de Sac emporte l’adhésion. Ainsi, si chaque bande est limitée en soi dans son impact et si celui-ci peut être dévastateur, c’est souvent l’accumulation des situations, leur récurrence et les variations infinies qu’elles autorisent qui déclenchent les premiers frémissements des zygomatiques. A l’exercice, Richard Thompson excelle et son humour mi visuel mi cérébral est révélateur d’un sens aigu des relations humaines. Il paraît sans cesse à l’affût de nouvelles trouvailles et pousse ses protagonistes, avec beaucoup de distance et de dérision, à des extrémités souvent aussi hilarantes qu’inattendues. L’effet comique est garanti, accentué encore par le décalage entre le graphisme simplifié et les improbables péripéties. En quelques traits bruts et nerveux, Thompson définit la moue, l’attitude des personnages de manière à appuyer les répliques et les enchaînements narratifs.
Cul de sac, c’est le strip familial enfantin à son meilleur… et c’est Bill Watterson qui l’écrit : « Tout y est : l’intelligence, l’humour, la tendresse, un réjouissant talent pour les mots et, plus étonnants encore, des dessins absolument merveilleux ».
» Le blog de Richard Thompson.
8.0