La genèse La Genèse

I l suffit de prononcer le nom de Robert Crumb devant un bédéphile averti pour que l’expression de son visage renvoie l’image d’une pensée paillarde ou d’une immersion subite dans un univers déjanté. En effet, pour beaucoup, Crumb est avant tout l’auteur underground sulfureux et indomptable qui, dans les années soixante, a testé les effets de la prise d’acide sur la créativité, et a repoussé les limites du publié et du publiable en évoquant ses propres fantasmes, et en s’intéressant à la médiocre réalité de l’homme américain moyen, à ses faiblesses et à ses travers.

Puisque Robert Crumb créa et livra à tous les regards Sa femme « idéale », le voir représenter la première d’entre-elles n’a, somme toute, rien d’aberrant. Que l’auteur se soit attaqué à la mise en image de la totalité de la Genèse, le premier livre de la Bible, est déjà plus surprenant. Sauf bien sûr à penser que l’ouvrage ait pu faire l’objet de quelques détournements prompts à déclencher une grande pagaille par leur aspect provocateur. Le résultat est stupéfiant ! En effet, cet éternel insoumis s’est attaché à fournir un strict travail d’illustrateur totalement respectueux de l’essence du texte ! Est-ce pour autant décevant ? Non, et pour plusieurs raisons : il n’a pas été touché par la grâce divine. Son trait est reconnaissable, il est fouillé, et la grande énergie qui s’en dégage était déjà présente dans ses œuvres précédentes. Sa représentation est réaliste, crédible et cohérente. Elle aère et facilite la lecture d’un écrit indigeste et très décousu dont la difficulté a dû en rebuter plus d’un. Passé le temps de l’adaptation aux quelques vingt premières planches, l’image prend le pas sur le contenu et impulse un rythme. Tout devient plus fluide et, le livre refermé, la surprise est grande de sentir naître l’envie d’aborder la suite … revue par Crumb, il va se soi. Sacrée prouesse de la part de l’auteur ! Enfin, au-delà de l’antagonisme premier que suscitait l’association Crumb/la Bible, La Genèse met en évidence le travail colossal d’un dessinateur en valorisant le côté artisanal de la tâche, qui consomme du temps, est effectué avec rigueur, dans un souci de qualité, en concordance avec un cahier des charges imposé … et dont le résultat inspire le respect.

Robert Crumb est toujours un auteur libre ! Libre d’exercer son métier et son talent comme il l’entend, libre d'aller où on ne l'attend pas, y compris pour se mettre au service du religieux. C'est aussi un professionnel. Pour ceux qui en douteraient, La Genèse est là pour le prouver !

Moyenne des chroniqueurs
6.8