Le ciel au-dessus du Louvre

8 août 1793 à Paris. Alors que le premier musée de la Nation ouvre ses portes au public, Jules Stern, un jeune homme disant venir de Khazarie, cherche à rencontrer le peintre David mais ne réussit qu’à croiser son regard. Un mois plus tard, lorsqu’il est introduit auprès du Comité de Sûreté générale, la vue de l’adolescent provoque un trouble chez l’artiste.

Il suffit de regarder la liste des réalisateurs de films avec lesquels Jean-Claude Carrière a travaillé, d’évoquer quelques noms comme ceux de Luis Buñuel, Milos Forman, Louis Malle, Nagisa Ōshima ou Andrzej Wajda, pour s’attendre à ce que le résultat de son association au scénario avec Bernar Yslaire bouscule, voire dérange. Quand, pour la collection Musée du Louvre, Nicolas de Crécy avait choisi d’évoquer, avec humour, la difficulté à appréhender une civilisation disparue à partir de l’interprétation de ses productions artistiques, quand Marc-Antoine Mathieu s’était intéressé à l’espace occupé par les créations remisées et avait doté les œuvres d’une âme en souffrance et d’un pouvoir d’animation, comme l’a fait plus tard Eric Liberge en limitant leurs perceptions à des personnes initiées ayant développé un sens particulier, Yslaire et Carrière imbriquent Histoire et fiction, politique et Art, dans une période très tourmentée de l'histoire de France : la Révolution.

Membre de la Convention nationale, le peintre Jacques-Louis David vit au cœur du pouvoir politique. Au diapason de l’idéologie des Jacobins, il prône la rupture de style avec l’Ancien Régime. Les œuvres d’Art devront porter les valeurs de la République, qui ne peuvent s’exprimer qu’au travers d’un trait nerveux et énergique. Les toiles anciennes sont décrochées des murs du Louvre, qui se recouvrent de créations contemporaines. Alors que la Terreur est décrétée, que les têtes tombent et que les dénonciations se multiplient, les décors et les lignes s’épurent, le ciel se vide, au nom de l’Egalité. Robespierre est convaincu que le peuple se nourrit de symboles et que celui de la Révolution reste à trouver. Ses amis rejetant son idée de proclamer tous les cultes libres, il propose d’instaurer des fêtes révolutionnaires et commande à David un tableau représentant l’Etre Suprême. Mais l’artiste éprouve les plus grandes difficultés à réaliser le projet. Comment peindre un idéal, défini par procuration, quand les faits et le contexte ramènent sans cesse à la mort ? La beauté du jeune Stern pourrait nourrir l’inspiration, mais…

La partition que livrent les auteurs dans Le ciel au-dessus du Louvre est en tous points remarquable. Bien plus que les ouvrages précédents, elle imprègne le lecteur du Musée. Par la richesse et le nombre des toiles qui sont données à voir, par la période choisie, judicieusement introduite et achevée par les tableaux de deux martyrs, par la mise en parallèle de la vie dans l’édifice, des débats, des choix politiques et de leurs conséquences, évoqués et résumés de façon concise en vingt chapitres. Elle soulève les questions des interférences entre le pouvoir en place et la création artistique, du paradoxe qui peut être établi entre la violence perpétrée par une idéologie révolutionnaire et la pureté de la nature de l’image qu’elle veut véhiculer, de la relation entre inspiration et création, mais, peut-être aussi, au travers du personnage de Jules Stern, de la récurrence de certaines situations et de certains évènements dans le temps.

En jouant sur l’aspect totalement ou partiellement achevé des planches et des cases, dont certaines sont publiées à l’état de croquis, Bernar Yslaire capte l’attention du lecteur et le renvoie sans cesse au travail de composition et aux différentes étapes de la réalisation artistique. Son illustration restitue parfaitement les phases de tension et de réflexion, les inquiétudes, mais aussi la mobilisation de l’énergie et les convictions. Certaines scènes charment, d'autres répugnent. Aucune ne laisse indifférent.

Un album beau, fort et dérangeant, qui pousse le paradoxe jusqu'à créer, dans le ressenti final, une dualité entre goût âpre et enchantement. A lire absolument !



Pour aller encore plus loin, se connecter sur le blog de Bernar Yslaire

Lire les chroniques des trois ouvrages précédents parus dans la collection Musée du Louvre :

»Période glaciaire de Nicolas De Crécy
»Les sous-sols du Révolu de Marc-Antoine Mathieu
»Aux heures impaires d’Eric Liberge

Moyenne des chroniqueurs
7.0